Tout plier, tout plier : du smartphone-brique réinventé au jeu adulte censuré à la hâte, l’air du temps numérique nous invite plus que jamais à « plier le game » — et certains s’y laissent presque prendre au pied de la lettre. Fini l’époque où la technologie se contentait d’améliorer nos vies : elle se fait aujourd’hui arbitre, juge (et souvent bourreau) de nos libertés, de nos usages et même de nos lois, jonglant entre promesses d’innovations et crises existentielles à répétition. Derrière le Galaxy Z Fold 7, star coréenne des écrans-foulards estampillés prestige, on aperçoit, tapis dans l’ombre, d’autres reconfigurations bien plus fondamentales de notre société, toutes motivées par une seule peur : ne surtout pas être celui qui « cassera » la partie.
Voyez d’abord la tentation technocratique affichée par l’administration américaine, qui ose donner à une IA bureaucratique les clefs de la gouvernance législative. La promesse : nettoyer la jungle réglementaire aussi vite qu’un robot aspirateur fait le tour du salon… quitte à transformer la démocratie en simple pile de lignes de code. Mais derrière les PowerPoint tricolores du DOGE, c’est le même logiciel de déshumanisation qui tourne : où s’arrête l’efficacité, où commence la casse ? Cette délégation algorithmique du sens commun résonne étrangement avec la crispation des plateformes comme Itch.io, sommées de laver plus blanc que blanc leurs pages d’accueil pour ne pas perdre l’appui – financièrement si précieux – de leurs dieux banquiers. Problèmes « connus » ou pas, on efface les jeux, on confisque le pécule, et le débat sur la création adulte se plie, lui, en un clin d’œil.
Dans le même temps, les géants du hardware ont compris que pour régner, il ne suffit plus de promettre l’éternel reboot : il faut offrir une expérience « transgénérationnelle ». Nintendo s’y attelle en douceur avec la Switch 2, pont magistral entre nostalgiques collectionneurs et nouveaux venus du salon. Mais même cette innovation feutrée répond à la logique brûlante du moment : comment garantir la continuité tout en poursuivant l’accélération sans fin ? Les smartphones pliables, eux aussi, deviennent le nouveau graal de l’ère post-iPhone – à tel point qu’on hésite entre défendre la créativité de l’usage ou redouter la vulnérabilité de nos données et infrastructures comme l’a magistralement démontré la cyberattaque russe sur Aeroflot. Les infrastructures vitales plient, parfois littéralement, devant la nouvelle guerre des nerfs numériques : chaque attaque, chaque dérégulation, chaque innovation manquée ou imposée est un coup de poker avec, pour enjeu, notre capacité à choisir le mode de la partie.
Le numérique plie tout : nos écrans, nos libertés, nos jeux… mais à force de tout courber, le risque d’un grand craquement n’est jamais loin.
Et puis il y a l’intelligence artificielle, ce grand metteur en scène de la disruption, qui s’invite autant sur les scènes flashy du TechCrunch Disrupt que dans les méandres d’une administration ou le marché du semi-conducteur (puces américaines sous contrôle chinois, ou l’inverse… selon l’update du jour). Derrière chaque innovation, une nouvelle bataille d’influence, ponctuée de règlements de comptes diplomatiques et de crises de gouvernance où la vigilance citoyenne se retrouve, elle aussi, condamnée à plier sous la pression financière ou la tentation du progrès facile. Plaider la cause de l’humain au cœur de la machine devient un geste quasi révolutionnaire, une forme de résistance douce dans un écosystème qui n’a plus qu’un seul mot d’ordre : « plie… et tais-toi ! »
À force de plier la société à coup d’écrans, de règles et de code, la tech risque de finir par craquer là où elle croyait offrir de la souplesse. Il n’est pas trop tard pour rappeler que l’artificialisation du réel n’est ni une fatalité, ni la seule option. La prochaine grande innovation, ce ne sera peut-être pas un smartphone encore plus mince, ni même une IA redoutable de lucidité calculée, mais notre capacité à remettre un peu de nuance, de doute, et – pourquoi pas – d’audace humaine au milieu de la jungle digitale. Messieurs les technologues, à force de plier, attention de ne pas finir… brisés.




