Comment une startup née en 2022 dans un pays encore peu connu sur la scène tech mondiale a-t-elle réussi à attirer d’immenses investissements internationaux et à devenir l’un des rares ponts économiques entre Orient et Occident ? Uzbekistan, longtemps reléguée dans l’imaginaire au rôle d’ancienne république soviétique, peut-elle désormais jouer un rôle central dans les ambitions numériques mondiales ?
Ce questionnement prend de l’ampleur devant le cas d’Uzum, l’unique “licorne” ouzbèke, qui a récemment levé 65,5 millions de dollars auprès de géants tels que Tencent (Chine), VR Capital (États-Unis / Royaume-Uni) et FinSight Ventures (États-Unis). Forte d’une explosion de 30 % de sa valorisation en un an, Uzum atteint aujourd’hui 1,5 milliard de dollars, alors qu’elle n’a été fondée qu’il y a à peine trois ans. Un exploit fou ? Ou la preuve d’une transformation souterraine dont l’Asie centrale serait le fer de lance ?
Pourquoi Uzum impressionne-t-elle autant ? Son modèle hybride mêle e-commerce, services fintech (carte de débit, prêts à la consommation) et, plus récemment, livraison express alimentaire. Avec 17 millions d’utilisateurs actifs chaque mois — soit près de la moitié de la population adulte ouzbèke — et 16 000 commerçants partenaires, Uzum ne vise plus simplement Tashkent : elle aspire à devenir un hub régional incontournable. Le chiffre d’affaires du premier semestre 2025 (250 M$ de GMV) a bondi d’1,5 fois sur un an ; le nombre de cartes Visa co-brandées devrait quant à lui dépasser 5 millions cette année. Que cache cette croissance fulgurante ? Une adaptation locale unique ou la réplique habile de modèles chinois et occidentaux ?
Uzum a bâti son succès sur le pari audacieux de combiner expertise locale et infrastructure technologique sur mesure.
L’enquête révèle que la clef de cette réussite serait à chercher dans la maîtrise du terrain, selon le fondateur Djasur Djumaev : comprendre réellement la culture et les besoins locaux, tout en empruntant le meilleur des méthodes d’exécution mondiales. Uzum a misé lourd sur ses propres infrastructures : 112 000 m² de capacité logistique, 1,1 million de m² d’entrepôts, plus de 1 500 points de retrait couvrant 450 villes et villages, en vue d’une livraison en 24h ; sans oublier l’émission locale des cartes financières. La start-up tisse ainsi un réseau dense, capable d’irriguer les moindres recoins du pays et d’offrir aux commerçants locaux – souvent délaissés – une nouvelle fenêtre sur l’économie numérique.
Mais pourquoi l’appétit international ? Selon Nikolay Seleznev, directeur stratégie, ce sont les métriques de croissance qui ont fait craquer Tencent après plusieurs trimestres de discussion. Cette crédibilité s’incarne aussi dans la diversification constante d’Uzum : produits bancaires, développement de solutions paiement QR pour PME, services à valeur ajoutée sur la marketplace (publicité, segment B2C), intégration de l’IA pour la personnalisation et l’évaluation des crédits… Sans oublier l’ouverture prévue de la plateforme aux marchands étrangers – turcs et chinois d’abord – afin de provoquer pas moins de 15 % d’activité transfrontalière dès septembre.
Faut-il voir là un laboratoire pour l’avenir du commerce numérique sur les “marchés frontières” ? Grâce à 12 000 employés, Uzum rêve déjà d’introduction en bourse, mais vise d’abord une nouvelle levée de fonds (250–300 M$) pour 2026. Avec une équation à la fois simple et complexe : investir massivement, rester profitable (150 M$ de revenus nets en 2024) et, surtout, contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur.
Alors que le monde observe le bras de fer entre les grandes puissances, une telle infrastructure neutre, agile et locale peut-elle contribuer à redéfinir les équilibres du numérique ? Uzbekistan, jadis aux marges, deviendra-t-il le centre d’un nouvel ordre technologique ou demeurera-t-il une exception ?
Source : Techcrunch




