Si l’intelligence artificielle avait une devise, ce serait sans doute : “Travaille pendant que tu dors, pense pendant que tu chantes, conquiers pendant que tu scrolles.” À l’ère où Amazon délègue les angoisses logistiques de ses vendeurs à Seller Assistant, où Google propulse sa recherche IA en mode multilingue pour annexer la planète du savoir, et où Netflix prélève son tribut pop sur les superproductions des cinémas américains, la technologie ne nous laisse plus jamais vraiment le temps de respirer. Tout, absolument tout, devient service « agentique » : l’assistant qui vend pendant que vous rêvez, le moteur de recherche qui devance chacune de vos questions, la plateforme de streaming qui réinvente le grand écran pour mieux nous tenir éveillés — dans ce bal incessant, qui dirige vraiment la chorégraphie planétaire ?
Regardons bien ce que produit ce tourbillon d’automatisation généralisée. Alors que Google s’impose comme le partenaire rêvé (ou rêvé par d’autres) des jeunes licornes de l’IA via Google Cloud, la question n’est plus d’avoir une infrastructure fiable, mais de ne jamais rater une opportunité, de générer des millions d’images IA — 500 millions injectées dans le smoothie digital de Gemini Banana — TOUT en temps réel. Dans ce grand casino mondialisé, les plateformes ajustent, testent, exposent, draguent, vérifient. Pendant que les machines font le sale boulot, l’humain est invité à n’être plus que chef d’orchestre d’un orchestre dont chacune des notes est générée… par une IA ayant, elle, la partition entière.
Ce modèle de l’asservissement tout sourire n’a pas échappé aux politiques. Pendant que APIs, modèles, nuages et sentinelles agentiques bruissent d’efficacité commerciale, le Congrès américain convoque les boss de Discord, Reddit, Twitch et Steam pour répondre de la radicalisation virale, comme si tout ce qui est “plateforme” devait fatalement dissimuler une poudrière. Mais si nos IA trient, produisent, vendent et recommandent sans relâche, dans quelles mains sont désormais la responsabilité — et même la possibilité — d’empêcher la machine de transformer le débat public en start-up pitch ou en club de fans déchaînés ?
Dans la jungle des IA, qui contrôle l’écosystème : les utilisateurs, les plateformes… ou les algorithmes eux-mêmes ?
Il y a ici, disons-le, un parfum d’ironie capitaliste : Netflix, héraut du streaming, fait son cinéma en salles pour vendre un film déjà numéro deux en streaming, tandis que Google concurrence tout le monde sur la recherche IA et l’imagerie, chaque plateforme pillant sans vergogne l’autre, chaque enjeu étant la captation du temps d’attention et du flux transactionnel — jusqu’à ce que même les ventes soient déléguées à d’autres IA (l’Assistant Seller d’Amazon, qui bientôt vendra de l’IA à l’IA). Sera-t-il encore possible de distinguer la prouesse humaine de la tactique opérationnelle d’une IA invisible, ou la créativité hype du dernier blockbuster pop coréen de l’algorithme qui a, dans l’ombre, orchestré sa viralité et sa montée au box-office (cf. “KPop Demon Hunters”) ?
L’époque n’est plus à l’outil, mais au système — un système qui nous englobe, pour notre confort… ou pour son propre agenda. Si Google nous sert “la bonne réponse” sans qu’on n’ait même à cliquer, si l’IA vend, interagit, génère des images, orchestre le débat public auquel on croyait naïvement participer, n’est-ce pas la promesse d’une rationalité sans faille qui, mine de rien, fait disparaître l’accident, l’étonnement et la vraie subversion ? Reste à savoir si l’humanité se contentera d’être l’ombre portée de sa propre sur-automatisation. En attendant, si votre IA se met à danser la K-pop la nuit pendant que vous dormez, ne soyez pas surpris : vous n’étiez déjà plus vraiment aux commandes.




