L’époque où la technologie se contentait d’être un simple outil est révolue : aujourd’hui, chaque plate-forme, chaque algorithme, chaque robot prétend réinventer nos libertés fondamentales, nos modes de vie, et parfois même nos cycles lunaires. Qu’on observe la volte-face de YouTube sur la liberté d’expression ou l’irrésistible montée de l’IA sur le marché du recrutement (entretien d’embauche façon robot), il y a désormais une obsession commune : dompter l’humain, encadrer la vérité, cadrer le rêve pour mieux calibrer la rentabilité. Même la Lune, gardienne millénaire de nos fantasmes nocturnes, n’échappe plus à la dissection algorithmique qui redéfinit la poésie en “cycle régulier de 29,5 jours officiels selon la NASA”.
Mais à force de vouloir tout mesurer, tout controler, ne finit-on pas par perdre ce qui fait la complexité du monde ? Les prophètes de la mobilité autonome (bonjour Elon Musk et ses one trillion dreams) rêvent d’un univers où l’automatisation se déploie du recrutement au transport, jusqu’à l’environnement même : les robots livrent, sélectionnent, circulent, filtrent. Pourtant, derrière la promesse d’efficacité, on s’aperçoit vite que ces utopies high-tech restent à la merci d’un fil électrique mal vissé ou d’une batterie capricieuse. Et si la panique électrique nous guette, que dire de la fragilité sociale que cela engendre ? Licenciements, précarité, absence de sens… La startup, maîtresse du progrès, vire aussi vite ses employés que Tesla accélère sur l’autoroute du fantasme postmoderne.
Pendant que les plateformes américaines jouent les acrobates entre liberté d’expression et censure politique, l’autre versant du progrès s’essaie à plus de justice : des chauffeurs Uber et Lyft de Californie s’unissent – ironie suprême – pour défendre leurs droits face à ces géants si prompts à évangéliser le monde au nom du progrès. Syndicalisation ou simple habillage social pour bains d’actionnaires ? Le vrai virage pourrait bien se jouer à l’aune de la mondialisation verte, où Bill Gates, par le biais de Breakthrough Energy, repart à l’assaut de la planète non plus avec des discours mais avec un portefeuille expatrié à Singapour, rêvant d’allier business et transition climatique sur fond de compétition géopolitique.
Big Tech contrôle la vérité, les robots la société, et la Lune en rigole dans son dernier quartier : voilà le vrai théâtre du progrès.
Au fond, la technologie n’agit plus seulement comme un révélateur de nos contradictions : elle accélère, exacerbe, individue et globalise tout à la fois. L’IA industrialise les biais humains à l’échelle du monde, la mobilité électrique alimente l’illusion d’une croissance sans fin dans un monde aux ressources limitées, tandis que la plateformisation du travail tente de concilier liberté individuelle et logique de masse, sans réussir à accorder tout le monde sur la même fréquence. Les cycles lunaires, eux, poursuivent leur ronde inaltérable dans le ciel, indifférents à nos débats dérisoires sur les droits syndicaux du dernier VTC ou la rentabilité de la green tech made in Seattle.
Alors que la Silicon Valley rêve d’un nouvel âge d’or universaliste, c’est peut-être dans la diversité non-prévisible – celle des phases de la Lune autant que celle des nouveaux “fellows” internationaux de Breakthrough Energy – que réside la seule constante : l’humain reste imprévisible, imparfait, indomptable. Et tout progrès qui l’oublie, finira toujours par retomber sur une phase d’ombre – ou, comme Waymo, par doubler le bus scolaire de la réalité dans l’indifférence consternée des régulateurs.




