Sommes-nous encore capables de résister à la gloutonnerie technologique qui nous entoure ou avons-nous simplement troqué une dépendance insidieuse contre une nouvelle forme de contrôle, plus douce, mais tout aussi savamment marketée ? La semaine technologique passée nous offre un panorama à la fois vertigineux et ironique : pendant que Focus Friend brandit son haricot-mascotte comme porte-étendard de la déconnexion volontaire, Apple redessine, non sans tartufferie, les frontières de la confidentialité à l’ère où l’IA s’inocule dans toutes nos applis, pendant que, tout près, l’automobile autonome devient le mirage d’une société plus sûre… mais pas forcément moins invasive. On finirait presque par croire que l’innovation ne consiste plus qu’à doser le poison pour nous garder lucides, mais accros.
Car la technologie, cette éternelle ambivalente, ne convoque pas seulement notre efficacité ou notre rêve de mobilité sans friction, elle expose aussi notre panique morale. A-t-on vraiment changé, parce qu’un bean tricotant nous surveille tendrement pour limiter notre scrolling, ou sommes-nous en train de redéfinir le « self-tracking » comme un jeu de tamagotchi inversé, où nous sommes le hamster dans la roue connectée ? Les grands comme Apple l’ont bien compris : la confiance est marchande, l’éthique un positionnement, et la régulation, une variable d’ajustement à jouer dans la course face à Google ou OpenAI. Dès lors, la vraie question n’est pas celle du gadget, mais celle de la cage dorée. Que l’on parle de iPhone Air (l’argentique de la maigreur techno), de smartwatch qui sniffe votre humeur ou de robotaxi promettant le zéro mort statistique, tout converge : être maître de soi, ce serait d’abord céder la main à l’algorithmie bienveillante… sous supervision marketing.
La sécurité routière du « never tired driver » chez Waymo semble ainsi moins une révolution de la responsabilité collective qu’une aubaine parfaite pour nourrir notre foi en la quantification absolue. Ou plutôt, une partition où la promesse de la réduction du risque est entonnée aussi fort que le déni de notre imprévisibilité fondamentale. À force de parler « incident tolérable » ou « statistiques transparentes », la tech raffine certes son discours, pour mieux nous faire oublier que l’humain, justement, n’est pas réductible à ses moyennes d’accidents ou à son taux d’attention. La quête de contrôle glisse alors vers une utopie de la transparence, zen dans la forme (merci le bean qui sourit), mais diaboliquement panoptique dans le fond.
Entre déconnexion décorative et intelligence largement externalisée, notre autonomie numérique devient le mirage préféré des vendeurs d’outils de délégation.
Voilà pourquoi le régime iPhonique, entre finesse annoncée et surveillance toujours plus discrète, fait sourire : la technologie n’amaigrit jamais vraiment l’addition humaine, elle change seulement la monnaie d’échange. La vie privée se troque avant tout contre la paix de l’esprit, la promesse d’un monde moins chaotique contre la promesse d’un monde plus normé. Après tout, si demain, il suffit d’un compagnon digital qui tricote, ou d’un iPhone Air trop mince pour être attrapé par des doigts humains, pour nous faire avaler la pilule d’une surveillance mondialisée et pilotée à la main invisible de l’IA, alors la question n’est plus : sommes-nous trop connectés ? Mais : l’avons-nous réellement choisi ?
La prochaine génération d’appareils et d’algorithmes nourrira-t-elle enfin notre désir d’autonomie, ou ne fera-t-elle qu’installer davantage la félicité du contrôle? Entre surveillance consentie, notifications doucereuses et robots plus fiables que nous, il reste à savoir jusqu’où, vraiment, nous irons pour appeler cela du progrès. Peut-être, finalement, qu’à force de déléguer nos distractions et nos risques, la seule révolution qui manque est celle de la… véritable désobéissance numérique.




