Jusqu’où l’industrie de l’intelligence artificielle peut-elle aller avant que même les assureurs ne refusent de couvrir ses dérives ? Alors que les grandes entreprises du secteur des assurances multiplient les demandes auprès des régulateurs américains pour exclure de leurs polices les risques liés à l’IA, n’est-il pas temps de se demander si la machine qu’on encourage devient tout simplement incontrôlable ?
Qui aurait pensé que les célèbres assureurs américains – tels que Great American, Chubb, ou W. R. Berkley – en viendraient à juger les modèles d’IA trop dangereux pour leurs bilans ? Selon le Financial Times, ces compagnies estiment que les résultats issus de ces systèmes sophistiqués relèvent presque de l’alchimie, se décrivant comme « trop opaques », « trop imprévisibles ». L’assurance, autrefois garde-fou face aux incertitudes technologiques, se mue-t-elle en spectateur inquiet face aux dérapages de l’ère numérique ?
Pourtant, tout le secteur ne semble pas s’aligner. La compagnie AIG, citée dans l’enquête du FT, a tenu à préciser à TechCrunch qu’elle ne prévoit pour l’instant aucune exclusion de ses contrats concernant l’IA. Faut-il y voir un signe de confiance ou une posture stratégique dans un marché qui panique ?
Quand même les professionnels du risque s’inquiètent de l’IA, faut-il s’interroger sur la soutenabilité de la confiance technologique ?
Pourquoi les assureurs sont-ils si nerveux ? Les récentes affaires parlent d’elles-mêmes : Google a été attaqué en justice pour 110 millions de dollars après qu’un résumé IA a faussement incriminé une société solaire. Un chatbot d’Air Canada a inventé de toutes pièces une réduction, obligeant la compagnie à l’honorer. Plus troublant encore, le clonage vocal et visuel d’un dirigeant d’Arup a permis à des fraudeurs de détourner 25 millions de dollars lors d’un appel vidéo plus vrai que nature. Sommes-nous à l’abri si l’intelligence artificielle elle-même se met à générer d’innombrables incidents ?
Mais le véritable cauchemar du secteur n’est pas le cas isolé ou le jackpot judiciaire. Ce qui inquiète vraiment, c’est le risque systémique : imaginez que le même bug d’un modèle d’IA largement utilisé génère des milliers, voire des dizaines de milliers, de réclamations d’un coup. Un PDG de l’assureur Aon le résume bien : indemniser une perte unique de 400 millions de dollars reste supportable, mais que faire face à 10 000 sinistres simultanés provoqués par une défaillance algorithmique ?
Les assureurs sont-ils encore, dans ce contexte, le rempart fiable de l’économie numérique, ou assistons-nous à l’émergence d’une zone de non-assurance, où l’incontrôlable devient la norme ? Les entreprises, grandes consommatrices et diffuseuses d’IA, pourraient se trouver bien seules face aux futures dérives – ce qui pose une question essentielle : l’assurance peut-elle vraiment s’adapter à des risques qui changent continuellement de forme et d’intensité, ou devons-nous revoir notre rapport collectif à cette technologie ?
L’heure n’est-elle pas venue pour le monde de la tech et celui de l’assurance de repenser de fond en comble leur pacte de responsabilité, plutôt que de jouer à la roulette russe avec l’innovation ?
Source : Techcrunch




