Le fonds d’innovation de l’OTAN, désormais doté d’un milliard de dollars, est-il réellement en passe de transformer le paysage des technologies de défense et de résilience en Europe, ou ses récents changements internes masquent-ils une instabilité plus profonde ? Voilà la question qui se pose alors que l’institution tente d’émerger de deux années marquées par de nombreux départs en interne et une concentration d’investissements dans des secteurs à usage dual. Mais pourquoi, malgré l’explosion des financements pour la tech défense en Europe, le NIF a-t-il encore du mal à trouver sa vitesse de croisière ?
Depuis l’annonce de sa création en 2021, le NIF devait incarner la première vague d’investissements publics massifs dans les technologies de défense de nouvelle génération. Deux ans après, la manne de 1 milliard de dollars est bel et bien là, et les fonds destinés à la tech dite “dual-use” (militaire et civile) explosent chez les membres de l’OTAN. En 2024, ce secteur représentait jusqu’à 10 % des investissements en capital-risque sur le continent. Mais ce contexte favorable n’a pas empêché le fonds de se heurter à des turbulences, notamment en termes de gouvernance et de recrutement.
Suite à la dernière réunion de l’OTAN à La Haye, un remaniement complet a été opéré : sur quatre partenaires initiaux et un directeur général, il ne reste qu’un seul membre de l’équipe fondatrice. Deux nouveaux partenaires, Ulrich Quay (ex-BMW i Ventures) et Sander Verbrugge (ex-Innovation Industries), aux profils purement industriel et scientifique, rejoignent Patrick Schneider-Sikorsky à la tête du fonds. Loin de renforcer l’équipe par de nouvelles embauches, la direction reste résolument minimaliste, misant sur ce trio pour naviguer la prochaine phase.
Le fonds de l’OTAN avance, mais ses ambitions colossales se heurtent à des choix de recrutement, de rythme d’investissement et de vision pour l’Europe en temps de guerre économique.
La tendance est-elle à la lenteur ou à la prudence stratégique ? Malgré 19 investissements validés à ce jour – dont certains dans des fonds comme OTB Ventures, et d’autres dans des start-ups comme Space Forge (matériaux en orbite) ou Tekever (drones déployés en Ukraine) – certains observateurs regrettent le manque de rapidité. Peut-on reprocher au NIF de ne pas investir plus directement dans la défense pure, alors que la guerre en Ukraine bouleverse la donne géopolitique ? Le fonds répond qu’il veut d’abord renforcer tout l’écosystème deep tech européen, en ouvrant aussi ses financements à la sécurité civile et à la résilience industrielle.
Mais cette orientation “dual-use” reste sous surveillance. Des voix internes et externes réclament plus d’engagement militaire direct. En réponse, l’équipe du NIF a joué un rôle clé dans l’élaboration du Rapid Adoption Action Plan de l’OTAN : un programme visant à accélérer l’intégration de nouvelles technologies dans la défense. Parallèlement, le fonds a étoffé ses effectifs avec l’embauche d’experts stratégiques comme John Ridge pour aider les jeunes pousses à naviguer le dédale des achats militaires.
La nomination des nouveaux partenaires, jugée très méthodique – certains parlent même de processus digne d’un “boy band” piloté par le conseil d’administration – soulève-t-elle la question d’un manque d’alchimie spontanée ? Avec 24 pays impliqués et autant d’intérêts à satisfaire, l’approche semble inévitable. Cette fois, cependant, les dirigeants ont pris soin de réunir l’équipe bien en amont pour assurer une transition sans heurts et afficher une cohésion affichée dès le départ.
Le fonds revendique désormais une approche “start-up” : apprendre, s’ajuster, expérimenter. Professeure Fiona Murray, vice-présidente du NIF, met en avant la création d’un “noyau resserré” capable de monter en puissance très vite pour soutenir l’ensemble de la tech européenne. Mais la question des possibles conflits d’intérêts au sein du comité d’investissement, déjà soulevée par la presse internationale, ne semble pas trouver d’écho dans la gouvernance actuelle.
Au fond, cette refondation sera-t-elle suffisante pour enrayer les critiques, accélérer le déploiement des capitaux et renforcer la souveraineté technologique de l’Europe face à la montée des menaces ? Ou l’Europe continuera-t-elle de se chercher une position dans la guerre de l’innovation qui fait déjà rage à l’est ?
Source : Techcrunch




