La semaine où la tech tente de se réinventer ressemble à une session de retouche photo ratée sous Gemini : chacun corrige fébrilement un coin du tableau, mais c’est le portrait global qui prend l’eau, entre morale décalée et réalisme algorithmique. D’un côté, la galaxie Musk vit une éclipse managériale continue, ses lieutenants fuyant l’open-space à la vitesse d’un modèle ChatGPT dépassant les bornes ; de l’autre, OpenAI transforme la planète en contenu sur mesure et la Californie tente de réguler cette frénésie de machines et d’humains essorés. À observer le jeu de dominos, on se demande si la course à l’innovation tire encore vers l’avant, ou si chacun pédale dans son hamac sous lumière LED.
Voilà OpenAI qui s’affiche en superhéros du progrès intellectuel tout en semant des fragments de société liquide : 700 millions d’utilisateurs, modélisation en rafale, gadgets gratuits pour la NSA… Mais à mesure que la tech multiplie burnouts et levées de fonds (coucou Nuro qui roule sur le bitume des millions sans pourtant livrer plus que son ADN logiciel), un même motif sous-jacent se répète : les conséquences humaines sont hors champ, camouflées derrière une “expérience utilisateur” toujours plus fluide, anonyme, et contrôlée. Incidemment, est-ce un hasard si la déferlante de logiques d’IA éthérée donne également des sueurs froides à la Silicon Valley et à ses politiques, qui investissent des fortunes non pour la régulation, mais pour en retarder l’inexorable venue ?
La grande parade réglementaire, elle, se paye un nouvel accessoire mode : le Super PAC, version Meta, frénétique lobbying où régulation de l’IA rime surtout avec “n’appliquez rien qui nuirait à nos profits”. On retrouve ici le syndrome des investissements propres américains, qui fondent aussi vite qu’apparaissent les dissonances électorales : l’industrie rêve de neutralité carbone à la sauce Apple Watch, mais tout s’évapore quand la promesse repose sur un champ d’eucalyptus sous bail précaire au Paraguay. Le simulacre remplace la transformation ; l’illusion verte camoufle la stagnation structurelle.
Derrière les filtres glamour de la transformation numérique, la tech recycle davantage ses discours qu’elle ne réforme ses pratiques — l’innovation n’est qu’un miroir sans tain.
En vérité, ce sont les détails administratifs ou les lois locales qui font voler en éclats le grand rêve du Web universel : qu’il s’agisse d’un Bluesky qui ferme rideau dans le Mississippi car vérifier l’âge de ses geeks, c’est trop demander à une start-up moderne ; ou d’un Nvidia refoulé par la Chine, suspicieuse des backdoors américaines présumées dans la chaîne des puces IA… c’est au front de la souveraineté et de la compliance que se perd la vision d’ensemble. L’ultime ironie étant que cette dispersion — protections d’enfants assommantes, “greenwashing” d’entreprise, ou fausse autonomie stratégique — a pour effet d’asseoir un statu quo où seuls les géants survivent et dictent, à coup de puissants lobbys, la grille de lecture du progrès.
Au bout du compte, l’utopie décentralisée vire à la quadrature du cercle : on rêve d’IA maison, d’appareils neutres, de mobilité sans pilote… mais les chaînes humaines et planétaires demeurent trop complexes pour être réduites à des lignes de code ou de crédit. Fordisme algorithmique, relocalisation du contrôle, virtuosité d’image : la technologie s’essaye à toutes les postures, mais c’est l’homme, ex-juriste chez xAI ou ex-ouvrier chez Union Pacific, qui finit par décrocher, lassé des promesses inhabitées – ou tout simplement sous-payées. La vraie révolution ne viendra pas d’un bond logiciel, mais peut-être d’une pause, d’un retour à la réalité, loin des phases lunaires du marketing ou des cycles sans fin du storytelling digital.



