Dans la grande kermesse technologique contemporaine, le spectacle oscille décidément entre la quête des étoiles et la surveillance des fonds de tiroir numériques. Un Starship qui rebondit sur l’océan prend des accents de Koh-Lanta cosmique, des IA de navigateur veulent carrément vous emprunter vos habitudes de navigation, tandis que Google impose aux développeurs Android de tomber le masque—levez les yeux, riez jaune : Big Tech n’a aucun scrupule à orchestrer du grand spectacle avec nos libertés les plus subtiles comme les plus cosmiques.
Car pendant que l’humanité célèbre la non-explosion d’une fusée longue comme trois bus collés, difficile de ne pas voir une analogie douteuse avec la Black Moon, cette fausse énigme scientifique gonflée à l’ego culturel et aux hashtags. Subrepticement, le vide devient objet de fascination—on nomme, on mythifie le rien, symptôme parfait de notre époque qui préfère le storytelling à l’observation. Comme la Starship qui plonge, invisible, et ressurgit triomphante, notre fascination pour ce que l’on ne voit pas prend l’ascenseur émotionnel avec la même facilité que nos IA favorites qui cliquent à notre place (et parfois à nos dépens).
N’est-ce pas là tout le comique de la tragédie ? Dès que les IA s’installent dans nos navigateurs, elles réclament d’exister partout, comme autant de Lunes noires du numérique, cachées mais omniprésentes, prêtes à exécuter la première commande injonctive malicieuse déguisée en code JavaScript. Nous voilà à devoir choisir non plus le système d’exploitation ou le navigateur, mais l’IA qui espionnera nos achats en douce, triant nos spams, calculant nos options de vie, mettant la main sur nos identifiants plus efficacement que toutes les réglementations de Google et leurs promesses de qui-vive perpétuel.
A force de vouloir tout contrôler, même l’obscurité devient spectacle et l’anonymat, une anomalie qu’il faut corriger.
Mais ce qui relie tout ce théâtre, c’est la façon dont la « sécurité » est devenue le mot-clé alibi de chaque transformation. Starship ne crash plus ? C’est parce qu’on ose casser pour mieux reconstruire. Google exige la carte d’identité de chaque développeur, espérant éviter la jungle numérique et, accessoirement, sceller son empire avant l’arrivée de la prochaine loi. Et côté IA, on camoufle la panique derrière des correctifs de sécurité, alors que le grand chaos de l’intégration générale n’a jamais semblé si proche—de la lune noire culturelle aux pop-ups d’intelligence, ce qui compte n’est plus l’innovation mais la maîtrise du vertige collectif.
Dans la nuit la plus noire ou sous les projecteurs du lancement d’une fusée milliardaire, tout se joue désormais dans cette zone paradoxale où ce que l’on ne voit pas, ce que l’on ne maîtrise pas, est donc soumis à un contrôle de plus en plus féroce. Le progrès technologique, loin de donner carte blanche à l’imagination, se fait gardien d’un nouvel ordre, moins pour nous protéger réellement que pour tenir le récit de la modernité bien en main. Qu’on lève la tête vers la lune obscure ou qu’on scrute l’icône des extensions Chrome, une même question demeure : serons-nous encore acteurs ou simples spectateurs dans cette galaxie de silos sécurisés, de rêves privatisés et de promesses ravalées par l’algorithme?



