Jusqu’où Google peut-il aller sans franchir la ligne rouge du respect du travail des éditeurs de presse ? Cette question brûle les lèvres alors que Neil Vogel, PDG de People Inc. — opérateur de plus de 40 marques médiatiques américaines majeures — dénonce ouvertement le mastodonte de la tech pour avoir, selon lui, « volé » le contenu de ses sites pour alimenter ses produits d’intelligence artificielle. Qu’est-ce qui différencie un partenaire technologique d’un « acteur malveillant » comme l’affirme Vogel au sujet de Google ?
Depuis quand la frontière entre indexation et appropriation s’est-elle estompée ? Vogel détaille un chiffre vertigineux : la part du trafic généré par Google Search pour son groupe est passée de 65 % il y a trois ans à moins de 30 % aujourd’hui, contre 90 % au sommet. En parallèle, Google utiliserait le même robot d’exploration pour référencer les articles sur son moteur de recherche… et pour nourrir ses IA génératives, alors que ces dernières risquent de court-circuiter les créateurs de contenus. Peut-on vraiment parler de « concurrence déloyale » alors que Google brasse à la fois audience et données ?
Face à cette situation, comment les médias peuvent-ils garder la main sur la valeur de leur contenu à l’ère du machine learning ? Vogel n’est pas resté passif : il bloque désormais l’accès à ses sites aux bots des IA qui ne payent pas, faisant pression pour conclure des accords commerciaux. D’ailleurs, il évoque un contrat jugé équitable avec OpenAI, qualifiée de « bon élève », tout en soulignant l’efficacité de la solution Cloudflare à cette fin. La menace d’un accès restreint suffira-t-elle à inverser le rapport de force ?
À l’ère de l’IA, le contrôle du contenu devient un nouvel enjeu de pouvoir entre Big Tech et médias traditionnels.
Malgré ces stratégies, un géant résiste : Google. Impossible de bloquer son robot d’exploration sans sacrifier le trafic vital que procure, même diminué, le référencement sur le moteur de recherche. Pour Vogel, cette situation fait de Google un « acteur intentionnellement nuisible » qui refuse sciemment de dissocier ses robots pour mieux forcer la main aux éditeurs. Où s’arrête la captation de valeur et où commence le pillage numérique ?
Cette précarité nouvelle est partagée : d’autres acteurs du secteur, tel Janice Min d’Ankler Media, campent sur une position de blocage face aux IA, dénonçant la tendance de Big Tech à l’appropriation systématique des contenus. Mais quelles issues restent, si les législations sur le droit d’auteur, conçues pour l’avant-IA, montrent leurs limites face à la notion « d’œuvre dérivée » plus facilement protégée par le fair use américain ?
De son côté, Matthew Prince (Cloudflare) table sur l’avènement de nouvelles réglementations — et parie même sur l’émergence, dès l’an prochain, d’un modèle où Google sera contraint de rémunérer les créateurs, sous pression du secteur et de ses propres contradictions. L’intérêt des IA pour le contenu est-il en passe de redistribuer les cartes, ou bien les grands groupes américains resteront-ils maîtres du jeu grâce à leur quasi-monopole sur l’accès à l’information ?
Au fond, le profond malaise ne révèle-t-il pas un enjeu démocratique plus vaste : qui, de la presse ou des plateformes, va façonner le paysage de l’information à l’ère de l’intelligence artificielle ?
Source : Techcrunch




