Comment une application de micro-épargne indienne réussit-elle à conquérir la confiance de millions de nouveaux épargnants tout en bouleversant le paysage de la fintech locale ? C’est la question que soulève le parcours spectaculaire de Jar, une jeune startup qui, en misant sur l’or digital, s’impose aujourd’hui comme l’un des acteurs les plus en vue de l’épargne populaire en Inde.
Alors que la majorité des fintechs indiennes vise les classes aisées et les mégapoles, pourquoi Jar a-t-il fait le choix de s’adresser aux petites villes et aux foyers modestes, traditionnellement délaissés par le secteur financier ? La réponse semble tenir dans une stratégie culturelle fine : proposer l’or, valeur refuge profondément ancrée dans la société indienne, comme solution d’épargne accessible dès 10 roupies, soit à peine 0,11 dollar par jour. Ce pari a-t-il réellement permis à Jar de se démarquer et de fidéliser plus de 35 millions d’utilisateurs, dont la grande majorité n’avait jamais épargné auparavant ?
Comment expliquer que près de 60 % des usagers de Jar vivent dans des villes de rangs 2 ou 3, et que l’entreprise ait enregistré une croissance fulgurante de ses revenus, passant de 5,7 millions de dollars à près de 279 millions en un an seulement ? À ce rythme, l’annonce prochaine d’une introduction en bourse, déjà en discussion avec plusieurs banques d’affaires, semble-t-elle logique ou relève-t-elle d’une prise de risque prématurée ?
En misant sur la tradition de l’or et l’innovation digitale, Jar défie tous les codes de la finance indienne.
Ce succès s’appuie aussi sur une diversification astucieuse. Outre l’épargne automatisée en or, l’entreprise a lancé la plateforme Nek pour vendre des bijoux en or, argent et diamants sans stock, via un modèle de livraison directe. Résultat : des revenus annuels dépassant le milliard de roupies dès la première année. Jar ne se contente plus d’être un simple intermédiaire : elle intègre désormais toute la chaîne, gère ses propres stocks d’or, et distribue même son métal à d’autres grandes fintechs, comme PhonePe, détenue par Walmart.
Peut-on réduire ce succès à une simple fièvre de l’or ? Jar ne s’arrête pas à la micro-épargne. L’application s’est enrichie de nouveaux usages, en particulier le paiement digital via le réseau UPI — incontournable en Inde, notamment grâce à des partenariats avec BharatPe et Unity Small Finance Bank. La fonctionnalité UPI AutoPay, qui permet l’épargne récurrente, aurait-elle accéléré la conversion des Indiens à la micro-épargne, toutes castes confondues ?
Derrière cette croissance rapide, les défis restent pourtant de taille. Comment Jar pourra-t-il conserver la confiance de ses utilisateurs lorsqu’il s’agira de gérer des sommes plus importantes ou de se confronter à des concurrents puissants et bien financés ? Le modèle d’hyper-personnalisation, basé sur la collecte intelligente de données (langue, métier, zone géographique, comportement d’épargne), pourra-t-il résister aux exigences croissantes de confidentialité et de sécurité ?
En finançant sa croissance via des investisseurs prestigieux comme Tiger Global ou Tribe Capital, Jar a levé plus de 63 millions de dollars et atteint une valorisation dépassant les 300 millions. Mais à mesure que l’entreprise s’approche des projecteurs de la Bourse, la question se pose : ce modèle hybride, entre vieilles traditions et nouvelles technologies, parviendra-t-il à s’imposer face aux mutations rapides de la fintech indienne, ou l’eldorado de Jar n’est-il qu’un mirage temporaire ?
Source : Techcrunch




