Le monde des arts vivants serait-il à l’aube d’une transformation grâce à la technologie ? Cette question brûle les lèvres à l’heure où le Lincoln Center de New York dévoile la seconde promotion de son Collider Fellowship, un programme qui mise sur la rencontre entre artistes pluridisciplinaires et innovations numériques. Alors que l’intelligence artificielle et la réalité virtuelle suscitent à la fois espoirs et inquiétudes dans la sphère culturelle, doit-on craindre une dérive ou y voir le début d’un nouvel élan créatif ?
Parmi les six artistes sélectionnés cette année, on retrouve des profils pour le moins atypiques : de la réalité 4D immersive à la création sonore, du collage contemporain à l’installation numérique, en passant par une réflexion poussée sur la place des identités dans l’art. Qui sont ces créateurs capables de manipuler autant le code que la couleur, et pourquoi ont-ils été choisis ? Selon Jordana Leigh, vice-présidente de la programmation au Lincoln Center, ce sont surtout des penseurs qui remettent en question l’équilibre entre l’homme et la machine, des explorateurs de frontières où l’art et la technologie se confondent.
Face à la crainte que l’IA n’uniformise la création ou remplace carrément l’artiste, Leigh se veut résolument optimiste. Pour elle, l’intelligence artificielle n’est qu’un outil de plus, tout comme un micro pour un musicien ou un pinceau pour un peintre. Est-ce alors la technologie qui s’adapte à la vision artistique, ou l’inverse ? L’exemple du projet Dream Machine, qui immerge le public (notamment issu des communautés afrodescendantes) dans des univers d’afrofuturisme grâce à l’AR, la VR et l’IA, montre en tout cas que la fusion peut ouvrir des mondes jusque-là réservés à une poignée de privilégiés.
La technologie peut-elle vraiment renouveler les arts vivants sans en trahir l’essence ?
Mais qu’attend-on vraiment de ces boursiers ? Le programme Collider Fellowship détonne par sa philosophie : aucune commande officielle, aucun “livrable” n’est exigé en fin de résidence. Les artistes disposent de neuf mois, d’un accompagnement personnalisé, de studios au Lincoln Center et chez Onassis ONX, ainsi que d’une bourse financière. Cela suffit-il à encourager l’innovation ? La première promotion a vu naître aussi bien une multitude de prototypes qu’une pause méditative propice à l’exploration conceptuelle. Les graines semées lors du premier cycle n’ont pas encore complètement germé : incertitude ou promesse d’une révolution à venir ?
En élargissant sa palette de soutiens “non-transactionnels”, le Lincoln Center entend bien bousculer les standards du mécénat artistique. La finalité n’est plus forcément l’œuvre prête à être consommée, mais le processus, parfois expérimental, qui fertilise la création future. Un modèle duplicable ailleurs ? Jadis temple de la performance “live”, le Lincoln Center réfléchit désormais à la façon dont la technologie pourrait permettre d’atteindre des publics globaux, notamment via la VR, l’AR et les expériences dites étendues. La scène new-yorkaise ne ferme aucune porte, et les prochains mois pourraient servir de laboratoire grandeur nature à l’art du XXIe siècle.
Les six nouveaux boursiers incarnent cette diversité : Cinthia Chen jongle avec les identités hybrides à travers installation et projection ; Sam Rolfes performe virtuellement et a travaillé pour Lady Gaga ou Netflix ; James Allister Sprang façonne les sons en 4D pour explorer les temporalités noires ; Stephanie Dinkins, figure de l’IA, questionne la technologie et l’histoire ; Kevin Peter He, issu du cinéma et de la danse, navigue entre narration et technologie ; et Dr. Rashaad Newsome mêle collage, IA et robotique pour porter la voix des cultures noires et queer.
Que pourra-t-on retenir de cette deuxième édition du Collider Fellowship ? Sera-t-elle le catalyseur d’une démocratisation réelle de la technologie artistique, ou un épiphénomène réservé à l’élite new-yorkaise ? Les arts vivants sont-ils en train de muter sous nos yeux, ou simplement de chercher leur place dans un monde numérique hégémonique ? Une certitude demeure : tant que la conversation reste ouverte, toutes les directions semblent encore possibles. Reste à savoir : qui écrira le prochain acte de cette grande pièce entre arts et high-tech ?
Source : Techcrunch




