Pourquoi une jeune entreprise londonienne du hardware choisit-elle l’Inde comme terre d’accueil pour ériger un empire technologique mondial ? La startup Nothing, fondée par Carl Pei, bouleverse à nouveau le paysage en annonçant que sa marque abordable, CMF, deviendra une filiale indépendante, avec pour quartier général l’Inde, tant en production qu’en R&D. Derrière cette décision, une stratégie industrielle ambitieuse… mais à quoi Nothing joue-t-elle vraiment ?
Après avoir lancé CMF en 2023 avec des écouteurs et une montre connectée, la marque s’est récemment aventurée sur le terrain des smartphones. D’où vient cette volonté d’accélérer l’indépendance de CMF ? Est-ce la férocité du marché, ou la nécessité de se différencier face à une concurrence chinoise toujours plus inventive ? Notons que CMF vise le segment des smartphones à moins de 200 dollars, une cible parfaite pour le marché indien où plus de 40% des téléphones vendus appartiennent à cette tranche de prix.
Pour y parvenir, Nothing s’associe à Optiemus, un partenaire indien du secteur de la fabrication (ODM). Ce partenariat, dont le détail de la structure financière demeure flou, annonce plus de 100 millions de dollars d’investissement sur trois ans et la création de 1 800 emplois. Mais où s’arrêtera la collaboration sino-indienne dans le hardware ? Et pourquoi le géant londonien n’a-t-il pas précisé la part allouée à ce projet dans son récent tour de table de 200 millions de dollars, mené par Tiger Global ? Le mystère reste entier.
CMF veut devenir le porte-drapeau indien du smartphone global et rien ne semble freiner ses ambitions.
Le pari indien de Nothing semble pourtant loin d’être irrationnel. L’Inde représente non seulement le plus grand réservoir de clients pour la jeune pousse londonienne – avec plus de 2% de part de marché et une croissance annuelle de 85% selon IDC – mais aussi un vivier d’innovation élevé à bas coût. En propulsant CMF comme marque autonome, Nothing entend-il faire de l’Inde la Silicon Valley des smartphones abordables ?
Carl Pei, le patron visionnaire, ne cache pas son ambition : il veut façonner l’avenir mondial du smartphone à partir du sous-continent. Un vœu pieux ou une prophétie auto-réalisatrice ? L’arrivée récente de Himanshu Tandon, débauché de POCO (la marque abordable de Xiaomi), pour piloter le business de CMF, confirme leur volonté de s’inspirer des géants chinois souvent passés par la case spin-off. Faut-il y voir une banalisation de cette stratégie ou bien le signe d’une course effrénée vers une mondialisation du hardware « made in India » ?
N’oublions pas que la filiation stratégique entre CMF et Nothing rappelle de nombreux précédents chinois : Xiaomi et POCO, Huawei et Honor, Oppo et Realme. Pourquoi ce modèle, déjà bien documenté en Chine, trouve-t-il ici un nouveau souffle en Inde ? Est-ce la pression de segmenter l’offre, ou la peur de cannibaliser l’image haut de gamme de la maison-mère entre 400 et 600 dollars ?
L’un des responsables d’IDC ne mâche pas ses mots : CMF s’est imposée avec succès face au besoin croissant de smartphones et de wearables à petit prix, notamment en Inde. Cependant, Nothing aurait également tout intérêt à éviter que la réputation de CMF, positionnée « bon rapport qualité/prix », ne déteigne sur sa marque mère, qui vise un public prêt à dépenser plus.
Face à toutes ces manœuvres commerciales, stratégiques et industrielles, la question reste ouverte : la success story de Nothing et de sa marque CMF peut-elle transformer l’Inde en nouveau centre névralgique du hardware mondial, ou n’est-ce qu’un effet d’annonce destiné à séduire investisseurs et consommateurs ?
Source : Techcrunch




