Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour quelques dollars de plus ? C’est la question troublante que pose l’irrésistible ascension de l’application Neon Mobile, désormais en deuxième position dans la catégorie Réseaux sociaux de l’App Store américain. Qui se cache derrière ce succès éclair, et à quel prix ce modèle économique s’impose-t-il ?
Neon Mobile, une application qui promet de vous rémunérer pour l’enregistrement de vos conversations téléphoniques, chamboule les codes du respect de la vie privée. Trente centimes la minute, jusqu’à 30 dollars par jour, et des gains supplémentaires en parrainant ses amis : faut-il voir là un revenu d’appoint sans conséquence ou le symptôme d’un nouvel abandon collectif de nos droits les plus fondamentaux ? Derrière ce business plan séduisant, la réalité est beaucoup plus opaque.
L’application ne se cache pas de monnayer vos données audio auprès d’entreprises spécialisées dans l’intelligence artificielle. Mais que fait réellement Neon Mobile de vos enregistrements ? Malgré une communication qui insiste sur le fait de ne capter « que votre côté » de la conversation (sauf si l’autre participant utilise aussi Neon), les conditions générales offrent à la société un droit quasi illimité d’exploiter, modifier, céder et diffuser vos enregistrements, dans le monde entier et pour une durée indéfinie. Est-il seulement possible, contractuellement, de s’opposer à un tel transfert de votre vie privée ?
À force de vouloir monétiser notre intimité, sommes-nous encore capables d’en mesurer le prix ?
Des juristes, interrogés par TechCrunch, s’accordent : l’ambiguïté juridique règne. La stratégie de n’enregistrer « qu’un côté » chercherait à contourner les lois anti-écoute de plusieurs États américains, mais rien ne garantit que la confidentialité des utilisateurs soit vraiment assurée. Que valent les promesses de Neón sur l’anonymisation, sachant que votre voix collecte plus d’informations qu’on ne croit ? D’autant plus qu’aucun contrôle n’est exercé sur ce que les partenaires de l’application accomplissent avec les données… et que la société ne dévoile ni leurs noms, ni leurs pratiques.
Un autre danger : à l’ère des deepfakes et des fraudes par IA vocale, donner accès à ses empreintes vocales revient peut-être à fournir la clé de votre identité sonore. Le fondateur de Neon, Alex Kiam, reste dans l’ombre et n’a pas souhaité répondre à la presse. L’entreprise, installée dans un simple appartement new-yorkais, soulève d’inquiétantes interrogations sur l’absence de transparence d’un acteur capable de faire la pluie et le beau temps sur l’intimité de milliers d’Américains.
Ce qui choque, c’est la vitesse à laquelle le public semble accepter cette nouvelle transaction : de l’indignation devant Facebook en 2019 (accusé de payer des adolescents pour collecter leurs données via une application intrusive), nous sommes passés à l’enthousiasme collectif pour Neon Mobile. L’habitude de voir nos données exploitées à chaque téléchargement d’application a-t-elle anesthésié notre capacité d’indignation ?
Face à cette banalisation, qui peut aujourd’hui prétendre contrôler ce qu’il partage, ou même, ce qui est collecté à son insu ? Les outils de productivité, dopés à l’IA et omniprésents dans nos vies pro comme perso, optimisent certes nos tâches ; mais à quel coût pour notre sphère privée – et celle de nos interlocuteurs, qui n’ont souvent pas donné leur consentement explicite ?
À l’heure où la notion de consentement semble vidée de sa substance par des CGU interminables et toujours plus permissives, reste-t-il une barrière entre nos vies quotidiennes et l’économie de la surveillance, ou avons-nous déjà tout abandonné pour quelques pièces ?
Source : Techcrunch




