L’époque où l’on codait à la lueur blafarde du terminal, un mug de café tiède à la main, ne sera bientôt qu’un vieux souvenir de boomer oublié, tant les Jules et autres assistants IA s’installent confortablement entre nos doigts et nos lignes de code. Mais derrière la promesse d’un dev augmenté—qui sous-traite joyeusement son bug à une IA décomplexée—se jouent des dynamiques autrement plus profondes. Cette alliance homme-machine, boostée par l’obsession de rapidité et de productivité, trace surtout une ligne droite vers un univers où innovation rime avec domination, et où la rapidité du quick-commerce indien s’épanouit dans la même folie chronométrée que l’automatisation du code.
D’ailleurs, nulle coïncidence si la start-up Zepto, propulsée par les dollars d’un fonds de pension américain, pulvérise records et bras cassés dans la livraison instantanée, pendant que la deep tech indienne drague Qualcomm, Nvidia et tout le gotha investisseur dans une orgie de capitalisme impatient. On code plus vite, on livre plus vite, on investit plus vite : le seul bug toléré, c’est le backlog qui traîne en longueur. Derrière les grandes déclarations d’indépendance, les nouveaux leaders indiens adoptent les mêmes schémas de dépendance à la finance étrangère et aux géants du cloud qu’ils prétendent concurrencer.
Et si, dans cette ruée ultra-rapide, le hardware faisait mine de changer de main ? Amazon bombe le torse avec son Trainium, prétendant s’ériger en alternative à Nvidia pour l’IA du futur, mais enchevêtre toujours plus fort les écosystèmes, les dépendances logicielles maison (CUDA, entrants, connectiques propriétaires) et l’opacité algorithmique. La puissance brute ne fait pas tout – c’est le soft, le réseau, bref, la totale intégration verticale qui assure la vraie rente, et ce, qu’il s’agisse de former Anthropic, OpenAI ou le prochain clone indien. A ce rythme, la livraison de modèles et d’algo en moins de dix minutes n’est plus de la science-fiction mais le nouveau pain quotidien des clouds mondiaux.
Le futur numérique s’accélère, mais la confiance et la transparence restent coincées dans la file d’attente.
Ce n’est pourtant pas un hasard si, dans ce concert d’exploit technique, les assureurs occidentaux songent à déclarer forfait face au tsunami des risques algorithmiques, refusant de couvrir les dérapages IA qu’ils jugent trop imprévisibles pour les bilans. Quand les garants de la confiance collective jettent l’éponge, l’économie numérique se retrouve nue face à l’accélération opaque des modèles, à la multiplication des bugs systémiques, au danger d’une hyper-réalité vidéoludique (allô le deepfake ?). Et que dire d’une Europe qui voudrait exiger la transparence à Meta ou TikTok ? Ces plateformes mastodontes s’ingénient à complexifier jusqu’au signalement de fake news et à vendre du « jeu de piste réglementaire » bien plus malaisant qu’un Rubik’s Cube sous amphètes.
Voilà l’ironie : la vitesse et l’ingéniosité n’ont jamais été aussi valorisées dans la tech, mais chez les véritables bâtisseurs de confiance, c’est le ralentissement qui s’impose – car l’emballement, lui, ne s’assure plus. Cultiver la rapidité et la performance tout en rejetant la régulation et la responsabilisation, c’est bâtir sur du sable mouvant. L’écosystème mondial qui se dessine—de San Francisco à Mumbai en passant par Bruxelles—va devoir choisir entre une croissance « zepto-mètre » et une confiance « kilomètre zéro », sous peine de voir le bug existentiel ne plus jamais être corrigé, ni par Jules ni par personne.




