Qui surveille les surveillants, surtout quand il s’agit d’espionnage numérique à grande échelle ? La société israélienne Paragon, qui aime se présenter comme le chantre de « l’espionnage éthique », se retrouve aujourd’hui au cœur du débat. Faut-il vraiment croire en une éthique du spyware, alors qu’en début d’année l’entreprise a été prise la main dans le sac avec l’utilisation de ses outils pour espionner deux journalistes en Italie ? Et jusqu’où ira leur sens des responsabilités quand la demande provient de gouvernements puissants comme celui des États-Unis ?
Cette question cruciale se pose à l’heure où un contrat de 2 millions de dollars, signé entre Paragon et l’agence américaine ICE (Immigration and Customs Enforcement) en septembre 2024, reste en suspens. ICE, qui appartient au ministère américain de la Sécurité intérieure, souhaiterait utiliser les outils de cybersurveillance de Paragon pour renforcer ses capacités, à un moment où la politique migratoire américaine, sous l’administration Trump, provoque de vifs débats : la technologie est-elle un instrument de sécurité ou d’oppression ?
Paradoxalement, la transparence affichée par Paragon — qui a rompu publiquement avec l’Italie après le scandale — semble se transformer en silence radio. Aucune réponse claire n’a été donnée aux journalistes sur le futur de cet explosif contrat américain, alors même qu’il pourrait, à tout moment avant son expiration fin septembre, être autorisé. Paragon est-il prêt à franchir le pas et à outiller l’une des agences les plus controversées des États-Unis, notamment critiquée pour sa gestion des droits humains à la frontière ?
Sous la bannière de l’éthique, Paragon doit maintenant choisir entre la rentabilité et les principes, tout en sachant que chaque décision expose la firme à une nouvelle salve de critiques.
À ce jour, le contrat avec ICE reste gelé, grâce à un « stop work order » commandé par le Département de la Sécurité intérieure, qui analyse la conformité de l’accord avec un décret signé sous Biden. Ce décret limite l’usage du spyware commercial par les agences fédérales, surtout si ces outils ont été liés à des atteintes aux droits humains ou à l’espionnage d’Américains. Mais cette suspension tiendra-t-elle si la nouvelle administration décide d’infléchir sa politique et d’ignorer l’héritage Biden ?
L’embarras est palpable aussi bien au sein de l’administration Trump qu’à la direction de Paragon. Personne ne veut prendre la responsabilité d’expliquer ce qui se passerait si le feu vert était donné. Ce flou nourrit l’inquiétude : la firme, jusqu’alors fière de ne travailler qu’avec des « démocraties responsables », pourrait-elle basculer dans la zone grise ?
Car derrière les discours de façade, un nouveau problème émerge : combien de temps une société peut-elle affirmer vendre du spyware « éthique » tout en s’alliant avec des clients dont la politique est ouvertement décriée pour ses violations des droits humains ? Du côté de la société civile, la réaction ne tarde pas : Michael De Dora, d’Access Now, lance un appel à Paragon pour qu’elle suspende toute coopération avec ICE, jugée incompatible avec la défense des droits des migrants et des journalistes.
Au final, alors que la surveillance numérique devient la norme, où placer le curseur entre sécurité nationale et respect des libertés individuelles ? Paragon, comme tant de sociétés du secteur, ne risque-t-elle pas de se retrouver piégée par ses propres valeurs affichées ?
Source : Techcrunch




