L’intelligence artificielle peut-elle vraiment révolutionner la création musicale, ou risque-t-elle d’en bouleverser les fondements ? C’est la question brûlante posée par la dernière annonce d’ElevenLabs, la licorne de l’audio génératif IA, qui vient de dévoiler un modèle capable de produire de la musique prête à l’emploi commercial. Simple avancée technologique ou nouvelle pierre d’achoppement pour les droits des artistes ?
En s’aventurant désormais dans la génération intégrale de morceaux, ElevenLabs bouscule ses propres frontières, elle qui s’était déjà illustrée par ses outils de texte-à-parole et ses bots conversationnels. Mais pourquoi cette incursion soudaine dans le royaume disputé de la musique ? N’est-ce pas un terrain particulièrement délicat, alors même que les startups Suno et Udio affrontent de lourds procès pour avoir entraîné leurs IA sur des œuvres protégées ?
Les démos publiées par ElevenLabs sont pour le moins troublantes : on y entend une voix synthétique rapper comme un artiste formé dans les rues de Compton – mimant les styles de Dr Dre ou Kendrick Lamar, mais sans en avoir vécu un seul jour. Peut-on vraiment accepter qu’une IA reproduise ces histoires, ces voix, ce vécu, en puisant dans l’héritage culturel d’autrui pour générer des produits « prêts à l’emploi » ? Comment l’entreprise garantit-elle l’éthique dans la conception de ses modèles ?
La musique générée par l’IA soulève plus de questions que de réponses, tant sur le plan de la création que du respect des droits d’auteur.
Face à la tempête qui secoue le secteur, ElevenLabs avance prudemment. Contrairement à Suno et Udio, la société a sécurisé des accords avec Merlin Network et Kobalt Music Group, deux poids lourds de la publication musicale indépendante. Quels sont les termes exacts de ces partenariats ? Les artistes représentés par Merlin et Kobalt – de Nirvana à Adele en passant par Childish Gambino – ont-ils vraiment conscience que leur travail pourra nourrir l’IA, ou subissent-ils simplement la loi du marché ?
La réponse officielle de Kobalt est sans ambiguïté : chaque artiste doit donner son accord explicite avant que ses titres ne soient utilisés par ElevenLabs. Mais ce modèle « d’opt-in » suffit-il à rassurer les créateurs ? Les musiciens sont-ils suffisamment informés des implications, notamment la possibilité de voir leur style ou leur voix reproduite artificiellement ? Et que dire des notions de « revenus partagés » et de « prévention contre les abus », évoquées par Kobalt, quand la frontière entre l’hommage, la copie et l’exploitation commerciale devient si ténue ?
Au fond, ce lancement s’inscrit dans une période de vives tensions entre innovation technologique et respect de la propriété intellectuelle. Si la promesse d’ouvrir de nouveaux marchés – et donc de nouveaux revenus – séduit nombre d’intervenants, le malaise grandit à mesure que l’intelligence artificielle brouille la piste entre créativité authentique et simulation algorithmique.
Reste une interrogation de taille : à l’ère où l’IA redéfinit la notion même d’auteur, qui tirera vraiment les ficelles – et quels seront les droits des artistes dans ce nouveau paysage en perpétuelle mutation ?
Source : Techcrunch




