Comment une application lancée il y a moins de cinq ans pourrait-elle révolutionner les rituels religieux millénaires d’un pays comme l’Inde, tout en aiguisant l’appétit de la Silicon Valley et des investisseurs locaux ? C’est la question centrale derrière l’ascension fulgurante d’AppsForBharat et de sa plateforme Sri Mandir, aujourd’hui au cœur de la digitalisation de la dévotion hindoue. Mais derrière ces chiffres de croissance astronomique et des levées de fonds impressionnantes, que révèle vraiment le boom des apps religieuses ?
En moins de dix mois, la startup vient de lever 20 millions de dollars supplémentaires, s’ajoutant aux 18 millions récoltés l’année précédente. Pourquoi un tel engouement des fonds comme Susquehanna Asia Venture Capital ou encore le respecté Nandan Nilekani face à une appli de prières ? Est-ce véritablement l’Inde profonde, dotée de 53 temples pour 100 000 habitants et d’une économie religieuse pesant 40 milliards de dollars, qui attire ces capitaux, ou bien la promesse d’une nouvelle économie numérique sur terrain vierge ?
Car jusqu’à l’arrivée d’AppsForBharat, la sectorisation des services religieux restait étonnamment en retard : la plupart des rituels, dons et prières restaient morcelés, locaux, presque impénétrables à la technologie. Sri Mandir a-t-elle enfin trouvé la recette pour fédérer des millions de fidèles sur écran tactile, ou n’est-ce qu’un mirage dopé par la pandémie et la diaspora indienne cherchant à garder un lien avec ses traditions ?
Digitaliser la foi, est-ce la moderniser ou la dénaturer ?
En bout de ligne, les chiffres parlent : plus de 40 millions de téléchargements, 1,2 million d’utilisateurs actifs chaque mois dont 90 000 hors Inde, et un taux de fidélité de 55 % après six mois. Étonnamment, c’est la diaspora indienne, installée aux États-Unis, au Royaume-Uni ou dans les Émirats, qui génère près de 20 % des revenus, avec un panier moyen huit fois supérieur à celui des utilisateurs locaux. Faut-il y voir un commerce spirituel adapté à l’exil ou la preuve qu’une foi numérisée peut traverser toutes les frontières ?
Derrière cette mécanique lucrative, Sri Mandir prélève 20 à 25 % de commission sur les offres et rituels en ligne, tout en aidant les temples à augmenter leurs propres recettes jusqu’à 25 %. Mais le modèle est-il vertueux ? D’autres applications concurrentes émergent, tandis que le secteur tout entier — plus de 50 millions de dollars investis en 2024 — connaît une croissance effrénée, notamment dans l’arrière-pays et chez les jeunes adultes.
Pour répondre à la demande, AppsForBharat déploie un plan d’envergure : investissements physiques dans des villes-temples emblématiques (Varanasi, Ayodhya, Haridwar…), livraison de prasad (nourriture bénie), merchandising, intelligence artificielle pour répondre aux questions de foi. Les équipes vont croître d’un tiers, un futur IPO est même envisagé d’ici 2028. Mais alors, jusqu’où ira la transformation ? Peut-on vraiment automatiser le sacré sans perdre l’essence de la tradition ?
Finalement, dans une Inde tiraillée entre ultra-modernité et attachement aux croyances, Sri Mandir reste en tête du marché hindou, même si la concurrence s’intensifie et que les applications chrétiennes s’invitent dans le classement national. La croissance de la foi digitale frôle-t-elle ses limites ? Ou cette dynamique est-elle le prélude à une reconfiguration profonde du lien religieux — et à de nouveaux enjeux technologiques, économiques, voire éthiques ?
La question demeure : la numérisation de la vie spirituelle modifiera-t-elle durablement le rapport des nouvelles générations à la religion en Inde et ailleurs ?
Source : Techcrunch