Le XXIe siècle numérique se livre à une partie d’équilibrisme digne d’un numéro de cirque sous acide : la technologie promet de “tout connecter, tout le temps”, mais il semble qu’en sous-main, c’est aussi au concours du « qui sacrifiera le plus de ressources pour s’offrir des gigawatts de serveurs » que l’on joue. À commencer par l’Inde, dont les prétentions à devenir le nouvel empire du cloud font frémir tout ce que le sous-continent compte de rivières et de compteurs électriques. À l’autre bout du spectre, la Californie célèbre fièrement sa nouvelle loi SB 53 pour réguler l’IA sans l’asphyxier – mais qui osera dire qu’il ne s’agit pas là encore d’un petit théâtre d’ombres où s’agitent lobbyistes et sénateurs en manque d’adjectifs catastrophistes ?
C’est un ballet complexe : les méga-centres de données indiens aspirent autant d’électricité, d’eau et d’espace que le secteur aéronautique greenwashé, à l’image de GE Aerospace, aspire à électrifier ses carlingues avec Beta Technologies (avion hybride ou stratégie défensive ?). Pendant ce temps, l’IA, déjà omnisciente et bientôt omniprésente dans nos films de vacances et nos achats compulsifs, débarque avec Sora 2 (créateur de vidéo deepfakes genre Black Mirror) et promet – au nom de l’innovation – de précipiter la société dans le grand bain du « social infusé à l’IA ». L’innovation ? Oui. Mais aussi le passage en force permanent sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à des limites : naturelles, éthiques, sociétales.
La descente plein gaz du numérique dans nos vies se traduit aussi ailleurs : après la ruée sur le cloud, l’IA prend le pouvoir dans le commerce (ChatGPT fait désormais le shopping à notre place, chatbot ton achat), les réseaux sociaux, et même nos réseaux mobiles qui passent en mode blockchain communautaire (Uplift, NBA meets Web3). Mais quelle architecture sous-jacente ? Qui alimente la machine ? Chaque innovation s’accompagne d’hyper-centralisation de puissance, de risques de dérives, et d’une armée d’utilisateurs sous perfusion de contenus, de GPU et de commission sur la dernière tasse lama achetée à la volée.
Derrière la grande illusion d’une technologie décentralisée et inclusive, ce sont toujours les mêmes : big tech et grosses filières qui tiennent le robinet d’énergie, de données, de cloud – et même de lois.
OpenAI, malgré ses promesses « éthiques » de nourrir l’humanité à coups de vidéos saines, répète les mêmes refrains que Meta hier et Google avant-hier, oscillant entre “bien public” et volonté de capter l’attention (et l’argent) de tous. Du côté californien, la nouvelle réglementation s’affiche comme un remède contre le chaos algorithmique, mais pour combien de temps, avant que la machine industrielle n’absorbe l’exception de Sacramento dans un océan de sandbox fédéral et de protocoles maison ?
La vraie question, finalement, n’est plus celle de la prouesse technologique – puisque tout semble désormais possible et monnayable – mais de l’ancrage, de l’endroit où poser le socle du progrès : l’accès aux ressources, l’équité des bénéfices, la responsabilité dans la déferlante IA. À tous les étages, de Mumbai à San Francisco en passant par vos messageries, la prochaine frontière n’est pas l’innovation, mais le prix à payer : pour l’eau, l’énergie, la cohésion sociale… et notre capacité, tout simplement, à rester maîtres de notre récit collectif, contre la logique du cloud omnivide. À méditer avant de laisser un agent IA acheter votre prochain mug en forme de lama.




