Dans la grande farandole high-tech des derniers jours, difficile de ne pas voir les géants marcher sur la corde raide de l’innovation, tout en jonglant nerveusement avec leurs propres contradictions. Apple hésite entre la souveraineté technologique et la dépendance assumée envers OpenAI ou Anthropic, tandis que Google s’empare de l’éducation, la façonne à coups de promesses IA et de plans de cours générés par la machine. Où sont donc passés nos maîtres d’école et nos devs passionnés, quand la créature numérique se met à enseigner, à conseiller, à calculer – et bientôt à balayer votre salon façon Roomba en soldes sur Amazon Prime Day ?
Car dans ce bal de la décentralisation factice, la lutte pour le contrôle fait rage tous azimuts. Apple – qui hier brandissait fièrement son culte du “tout maison” – fait aujourd’hui passer ChatGPT pour l’ami imaginaire de Siri, alors que Proton, le chevalier blanc suisse du chiffrement, l’attaque sur le terrain de la confidentialité et du monopole. Souveraineté numérique, avez-vous dit ? Elle vacille aussi vite sous la pression judiciaire que sous celle des actionnaires – ou des influenceurs Amazon. Pendant ce temps, l’App Store ressemble de plus en plus à une zone franche, terrain de bataille pour Robin des Bois et gardiens du coffre-fort.
Côté utilisateurs, pas de trêve non plus : entre la chasse aux accessoires iPhone “indispensables” pour suivre la “meilleure expérience” promise par le marketing — et la tentation du binge-shopping orchestré par Amazon, on en viendrait presque à applaudir le Roomba qui, au moins, reconnaît quand il se perd dans les coins. Le progrès vendu à grand renfort d’abonnements (Audible, Prime, Spotify au pouvoir algorithmique revisitée sous des allures factices de “libre choix”) n’est qu’une nouvelle ronde d’enfermements volontaires – qui, accessoirement, pompent encore plus d’énergie. D’où la ruée vers la fusion nucléaire chez Google. Parce qu’après avoir accaparé nos cerveaux, il faut bien nourrir nos serveurs.
Dans la course à l’intelligence connectée, chaque progrès ressemble autant à une libération qu’à une nouvelle camisole algorithmique.
Cette centralisation technologique se double d’un épais brouillard réglementaire : du Canada qui recule devant Trump sur la taxe numérique, aux États américains qui préfèrent coder les lois plutôt que de légiférer efficacement l’intelligence artificielle, tout se joue dans la salle d’attente d’un futur encore indécis — à coup d’amendements nocturnes et de milliards de dollars arrosés sur les meilleurs chercheurs passés de Meta à OpenAI et vice-versa. Apple qui vend du rêve sur circuit avec Brad Pitt, Google qui projette du soleil miniature pour ses propres batteries de data, et Tinder qui transforme le flirt en passeport biométrique — tous cherchent à réinventer des modèles, mais oublient souvent la question centrale : la confiance, ce n’est pas le badge “face map verified”, c’est une répartition honnête du pouvoir et de la connaissance.
Plus que jamais, le monde des plateformes nous drague, nous nurse, nous éduque, nous divertit, nous surveille et achète nos cerveaux à prix d’or. Dans cette ère du tout-connecté, la grande illusion reste la personnalisation du progrès : un confort contractuel, algorithmique et énergétique qui cache mal la nouvelle frontière, celle de la dépendance choisie… ou imposée. Alors, à quand l’accès à l’innovation vraiment choisi, conscient et réversible ? Ou faudra-t-il, pour reprendre la main, débrancher le Roomba et passer le balai à l’ancienne ?