Dans le grand théâtre technologique de la semaine, les projecteurs sont braqués sur une ronde d’intelligences artificielles qui oscillent dangereusement entre surenchère d’efficacité, promesses dissonantes et illusions algorithmiques. Qu’il s’agisse de robots qui ratent leur entrée dans l’entreprise, de Reddit réinventant la roue de la recherche ou de TikTok qui vous laisse (à peine) doser la potion magique IA dans vos flux, la frontière entre progrès tangible et poudre de perlimpinpin numérique n’a jamais été aussi mince, ni aussi lucrative pour ceux qui la maîtrisent… ou la prétendent.
Prendre la température de cette économie de la promesse, c’est voir Paid, la jeune pousse londonienne de la facturation à l’impact, lever des millions pour bousculer le dogme où chaque agent IA justifie enfin son existence sur la base de résultats mesurables. Comme une revanche du réel face aux hallucinations de Deloitte en Australie, il faudrait désormais payer « à la perf », traquant l’anodin agent virtuel aussi impitoyablement qu’un trader sur la bourse d’une célébrité YouTube. Car le fantasme de la rentabilité maximale s’immisce partout : de Zendesk à Anthropic, tout le monde veut abolir l’humain — du support client jusqu’au CTO lui-même !
Mais ce n’est pas seulement la productivité qui trinque à la table d’honneur du gala IA, c’est la créativité elle-même. OpenAI convoite l’ultime frontière : remplacer le musicien, orchestrant (dans l’ombre d’étudiants de Juilliard) la métamorphose de la création sonore comme d’autres ont automatisé le SAV. Ailleurs, c’est Black Forest Labs qui se rêve superpuissance européenne avec une IA capable d’éditer les images mieux qu’Adobe — et si vos plans manquent d’audace, inspirez-vous donc de la prophétie boursière de MrBeast : le jour où les « likes » achètent de vrais morceaux d’entreprise, le capitalisme viral aura définitivement pris le pouvoir.
Poussée à l’extrême, la génération IA s’affirme comme le révélateur des illusions collectives : valeur, créativité, et authenticité deviennent des curseurs à régler — ou à monétiser.
La frénésie autour des IA génératives ne se limite plus à la surenchère technique : la question cruciale se déplace sur le terrain de la revendication — qui contrôle l’algorithme, qui vérifie la « valeur », qui surveille l’authenticité ? Reddit promet un moteur de recherche enfin multilingue, TikTok promeut la « transparence modulaire » sur le flux IA, mais qui, sauf l’algorithme, trace vraiment la frontière du vrai et du fabriqué ? Pendant ce temps, Anthropic réorganise son organigramme, promesse de robustesse dans la tempête des investissements, cherchant à rattraper la fuite en avant des géants américains qui placent désormais leur honneur (et leur cash) dans la surenchère d’infrastructure — et la marchandisation sans limite de l’automatisation.
Le futur, nous promet-on, sera plus fluide, plus multilingue, plus personnalisé, plus performant, plus… plus tout — sauf humain, en somme. L’industrie de l’IA semble s’acharner à transformer chaque communauté, flux, conversation, et même mélodie, en marchandise indexée, contrôlée, mesurée. Mais plus la technologie avance, plus la question cruciale demeure : qui éduque qui, et avec quelle exigence de vérité ? Peut-être la plus grande hallucination collective ne viendra-t-elle pas de l’IA, mais de notre foi inébranlable dans ses promesses, au moment précis où l’on confond performance, authenticité et rentabilité.



