Dans la galaxie sans cesse mouvante de la tech, où l’on compare la résilience de Chowdeck face à la vacuité orchestrée des échecs du quick commerce européen, il semblerait que ce soit moins la technologie que la compréhension fine du contexte local qui fasse la différence. Pendant qu’au Nigeria, Femi Aluko et ses compagnons réinventent la chaîne logistique à vélo et à coups de dark stores, la Silicon Valley s’offre une nouvelle bataille : IA contre IA, Made by Google édition, ère Gemini, et la guerre froide du smartphone qui ne lasse jamais personne. Et si, en Afrique de l’Ouest comme au cœur de Mountain View, le vrai secret était ailleurs ?
Car pendant que Chowdeck muscle son jeu — 1,5 million de livraisons, 20 000 livreurs et surtout, rentabilité là où Jumia et Bolt Food terminent leur marathon en civière — Google, roi du teasing, propose à coups de Pixel 10 et Gemini un univers où l’intelligence artificielle ne sert plus à conquérir l’espace, mais à gommer le vilain arrière-plan sur nos photos de brunch. Chowdeck, lui, mise sur l’ultralocal et le bon sens : des plats traditionnels, une stratégie SaaS maison, et la promesse de rentabilité instantanée, au moment même où Google promet à ses fidèles d’interagir enfin avec leur smartphone sans jamais toucher l’écran. L’approche “je connais mes rues” s’oppose de front à la philosophie “je calcule tout, je devine tout, mais je ne comprends personne” qui irrigue les cuvées Gemini.
La question qui chatouille, c’est celle du sens même que prend la technologie : l’innovation, est-elle dans la puce IA de 5 nanomètres ou dans la capacité d’une startup à cultiver l’art du réseau vélo à Lagos ? Chowdeck refuse l’hybris de l’expansion folle, tout comme Google prétend ne rien vouloir d’autre qu’élever la photographie mobile à une transcendance algorithmique. Mais, autant chez les livreurs africains que sur les keynotes de la Silicon Valley, l’obsession est palpable : dominer un marché, construire un écosystème, capturer le quotidien (des photos, des repas, des données, notre temps de cerveau disponible). Qui, de la super-app pragmatique ou de la surcouche logicielle dopée à l’ego, saura répondre au fond à l’évolution des usages ?
Plus que la technologie elle-même, c’est l’intelligence à comprendre les limites humaines et locales qui déterminera les vraies révolutions de demain.
Ce grand écart technologique n’est-il pas révélateur d’un malaise bien plus vaste ? L’Afrique, terrain d’expérimentation à ciel ouvert, montre que le vrai luxe n’est plus la fonctionnalité, mais sa pertinence. Qu’on soit dans les ruelles de Kumasi ou devant un stand Google à la grand-messe annuelle, ce qui compte n’est pas l’épaisseur du portefeuille ou la brillance du processeur, mais la capacité à résoudre de vrais problèmes. La Pixel Watch 4 promet un capteur d’oxygène sanguin ; Chowdeck, lui, assure que votre “jollof rice” ne refroidira pas dans les bouchons. Dans les deux cas, le client n’est pas dupe : le jeu n’est plus celui de l’obsolescence programmée, mais de la fidélité par la résolution, l’immédiateté par la confiance.
Aussi, dans ce duel façon “David local contre Goliath global”, qui peut dire si l’avenir de la tech appartient à ceux qui livrent chaud ou à ceux qui filtrent net ? Un continent fait basculer les habitudes en réinventant la proximité, pendant qu’un autre s’illusionne de promesses IA et d’écosystèmes enfin bouclés. À l’heure où le quick commerce et le smartphone s’affrontent sur l’autel de l’inutilité prétendue, reste ce paradoxe : la vraie rupture ne naît plus des grandes révolutions techniques, mais de la pertinence micro-locale – là où l’IA, comme la bicyclette, doit surtout apprendre à pédaler en peloton serré.




