Est-il vraiment possible de protéger les enfants sur Internet sans porter atteinte à la vie privée de tous les autres utilisateurs ? À l’heure où technophiles et législateurs se penchent sur ce dilemme, la question divise plus que jamais, surtout depuis la prolifération des lois sur la vérification de l’âge aux États-Unis et au Royaume-Uni. Mais derrière les discours sécuritaires, n’existe-t-il pas un risque de surveillance massive et de fuites de données ?
Le problème semble insoluble : comment s’assurer qu’un enfant ne tombe pas sur des contenus violents ou inadaptés sans que chaque adulte doive livrer une copie de sa carte d’identité à la moindre connexion ? Le débat dépasse le simple “clic” sur une case “j’ai plus de 18 ans” – aujourd’hui, ce sont des selfies, des scans biométriques ou des papiers d’identité officiels qui sont demandés pour accéder à une foule de sites web. Est-ce là la seule réponse possible aux angoisses parentales face aux dangers d’Internet ?
Derrière ces mesures, des histoires terribles de harcèlement, de drogues achetées sur les réseaux sociaux ou d’intelligences artificielles “flirtant” avec des mineurs mobilisent légitiment l’opinion et les institutions. Mais suffit-il d’un contrôle d’identité pour prévenir de tels drames ? À l’inverse, ces verrous numériques risquent-ils de couper l’accès, non seulement à la pornographie, mais aussi à l’information, à la santé et à l’éducation, sous prétexte de protéger la jeunesse ?
À vouloir contrôler l’accès des mineurs, ne prenons-nous pas le risque de fragiliser la cybersécurité de tous ?
Les exemples d’échecs sont déjà légion : l’application Tea, censée garantir la sécurité des femmes, a exposé des milliers de documents d’identité et messages privés lorsque ses serveurs ont été piratés – malgré des promesses de suppression immédiate des données. Si des multinationales comme Google ou des Etats peinent à sécuriser leurs bases de données, doit-on croire que la startup du coin ou le service gouvernemental local feront mieux ?
Certains pourraient dire : “Je n’ai rien à cacher, qu’importe donc si mon anonymat saute ?” Mais dans un contexte de répression politique ou de menaces ciblées, l’identité numérique devient un enjeu vital. Les lanceurs d’alerte, opposants politiques ou victimes de violences domestiques risquent encore davantage si toute leur navigation doit être authentifiée. Et si demain un glissement autoritaire se produisait, serions-nous à l’abri d’un usage détourné de ces données ?
Aux États-Unis, 23 états ont déjà adopté des lois de vérification de l’âge, obligeant les sites à “border” l’accès à certains contenus, entraînant parfois la coupure pure et simple de plateformes comme Pornhub. Et la définition même de ce qui est jugé “nuisible aux mineurs” varie au fil des vents politiques : quelles conséquences pour l’accès à l’éducation sexuelle ou pour les ressources LGBTQ ?
Au Royaume-Uni, l’Online Safety Act pousse la logique plus loin : réseaux sociaux, moteurs de recherche, plateformes vidéo ou messageries exigent une vérification stricte, parfois pour des contenus loin de la pornographie ou de la violence. Cette nouvelle normalité est-elle vraiment synonyme de sécurité, ou instille-t-elle une société du soupçon ? Avec la généralisation de ces standards mondiaux, sommes-nous tous concernés, même en dehors de ces frontières ?
Face à ces barrières, les utilisateurs se tournent massivement vers les VPN. Mais que vaut la promesse de confidentialité des VPN “gratuits” ? La fuite en avant vers plus de contrôle, plus de surveillance, plus de contre-mesures sonne-t-elle la fin de l’utopie du web ouvert, ou n’est-ce que le début d’une nouvelle ère de la lutte pour la vie privée ?
Source : Techcrunch




