Le numérique, naguère promesse d’émancipation, ne cesse de puiser dans notre sang, de modeler nos regards vers l’espace et de saturer nos cerveaux d’une soupe d’images générées par intelligence artificielle. Aux confins de la tech, trois actualités s’enroulent telles les spires d’un même serpentin : la santé connectée façon Whoop Advanced Labs, l’étrange géométrie des Odd Radio Circles dans l’immensité cosmique débusquée à l’autre bout de l’univers, et enfin « Vibes », la dernière éruption IA de Meta qui déborde sur nos feeds sans que personne n’ait rien demandé. D’un bracelet qui aspire à faire de chaque consommateur son propre laboratoire à des donuts cosmiques qui remodèlent nos fantasmes scientifiques, en passant par une tambouille algorithmique d’images et sons sur laquelle même Instagram grimace, tout semble tourner autour d’un art ancestral : celui de vouloir “tout mesurer, tout observer, tout simuler”.
Car quoi de plus fascinant que notre volonté d’ausculter le vivant, d’avoir une réponse immédiate et quantifiée à la fameuse question « Comment je vais ? », quitte à offrir nos veines et notre budget sur l’autel d’une santé ultra-personnalisée ? Les bracelets Whoop, Function Health et autres startups vampiriques flairent dans nos fluides non seulement le temple de l’optimisation, mais le Saint Graal de l’abonnement perpétuel. Pendant ce temps, à des millions d’années-lumière, les cercles radio géants clonés dans l’immensité ne cessent de rappeler que l’humanité persiste à vouloir percer l’inconnaissable – mais avec plus de kilomètres, plus de rayonnement et plus de beignets galactiques qu’aucun algorithme ne saurait digérer en une vie. Il est d’ailleurs édifiant de constater que, dans les deux cas, les outils automatisés ratent parfois l’essentiel, confirmant la prééminence du poignet ou de l’œil humain face à la machine, qu’il s’agisse de veines ou de vins extra-galactiques.
Mais c’est sur la Terre, dans l’arène sursaturée de nos écrans, que Meta pousse l’expérimental à son paroxysme en déchaînant « Vibes », ce TikTok cloné puis muté par l’IA, qui tente désespérément de substituer un flot inépuisable de vidéos artificielles à la créativité, voire à la réalité, tout court. Cette chronophagie algorithmique, qui se nourrit de nos goûts pour mieux les presser à l’extrême, promet l’instantané – mais aussi la redondance, l’ennui et le dégoût de la “slop” générée par IA. Le paradoxe, c’est que plus Meta restructure son laboratoire à coups de superlatifs (“Meta Superintelligence Labs”), plus la soupe ressemble à de la sauce industrielle : tout le monde a envie d’autre chose, mais la bouteille reste posée sur la table, prête à déborder…
Un bracelet suce la data de nos veines, des bénévoles traquent des donuts géants dans le vide et une IA nous gave de vidéos indigestes : la boucle est (presque) bouclée.
Cette boucle, justement, ne serait-ce pas la figure qui résume notre époque ? Du bracelet connecté qui referme le cercle health-tech autour de notre identité biologique, jusqu’aux donuts cosmiques qui narguent la rationalité humaine, en passant par les feeds vidéo où l’IA tourne en rond sans retrouver la saveur de l’humain, tout semble nous rappeler que sous prétexte d’innovation, nous multiplions les rituels circulaires – la data, la surveillance, le spectacle permanent. Le progrès dessine des ornières, et plus rien ne fait mystère que par excès de quantification ou de pseudo-personnalisation.
Alors oui, nous sommes piégés dans un festival de cercles et d’illusions, où le sang donne la cadence, l’espace la perspective, et l’IA l’arrière-goût de déjà-vu. Mais derrière cette “donutisation” de la technologie, n’est-il pas temps de réhabiliter la surprise, la contemplation, l’inattendu ? La prochaine grande innovation ne serait-elle pas, tout simplement, de rompre la boucle pour retrouver la saveur de la déconnexion ?
