La course effrénée à la productivité serait-elle en train de transformer notre besoin d’évasion en simple artefact numérique ? Dans la Silicon Valley, alors que la « hustle culture » revient en force, l’idée de créer de fausses photos de vacances grâce à l’IA semble être le dernier miroir de nos paradoxes contemporains. Faut-il maintenant « simuler » le bien-être, faute de pouvoir se l’offrir ?
Laurent Del Rey, designer de produit embauché récemment par le Superintelligence Lab de Meta, s’est posé une question qui fait mouche : comment retrouver ce feeling d’été, ce « soft life » rêvé, alors que le monde des startups glorifie les semaines de 72 heures ? Sa réponse : Endless Summer, une application qui fabrique, à partir de vos selfies, de fausses images de vacances générées par IA, vous mettant en scène à travers le globe, tantôt sur une plage, tantôt dans une ruelle européenne. Mais à quelles frustrations ou rêves inassouvis ce gadget répond-il vraiment ?
Endless Summer n’est pas une blague potache ni même un simple outil de création visuelle. Elle s’inscrit dans une époque où même les moments de détente doivent être produits, postés, monétisés. Le fait que l’application ait été conçue par passion pour l’été, alors que son créateur confesse avoir voulu « reconstituer ce que l’on ressent à cette période de l’année », jette un éclairage troublant sur notre rapport à la temporalité et à la satisfaction immédiate. Sommes-nous devenus incapables de patienter jusqu’à la vraie pause, ou avons-nous décidé que la fiction suffisait à combler le vide du réel ?
Au moment où l’IA rend la fuite possible, faut-il y voir un outil de libération ou le symptôme d’une société surmenée incapable de décrocher ?
Concrètement, l’application fonctionne de façon limpide : une interface minimaliste, un bouton pour générer la photo “d’été” de votre choix, et voici que défilent sur l’écran vos clichés fictifs, le sourire tranquille, le teint hâlé… alors même que vous croulez peut-être sous les deadlines. L’intelligence artificielle derrière le service — le modèle d’images « Nano Banana » de Gemini — brasse en coulisse pour réinventer, à chaque prompt, des tranches d’ailleurs. Les images ? Un rendu vintage, façon pellicule du début des années 2000, histoire de flatter le trend nostalgique qui revisite nos souvenirs façon Polaroid sur Instagram.
Côté confidentialité, Endless Summer promet de ne rien conserver de vos selfies originaux, à moins d’opter pour le mode de génération automatique, et il suffit de deux clics pour supprimer entièrement ses données personnelles. Mais à quel prix s’offre ce voyage immatériel ? La générosité n’est pas totale : passé six images gratuites, l’usage devient payant, une trentaine de photos coûtant 3,99 €, tandis que différents packs permettent de prolonger l’illusion.
En marge des vacances improbables, l’app propose même des variantes saisonnières : le temps d’Halloween, vous pouvez vous voir déguisé virtuellement, histoire d’ajouter un brin de fantaisie ou de « moodboard » à votre routine. Vient alors une question inévitable : en répondant au culte de l’image imparfaite – effet pellicule, scène vaguement floue, ambiance non calibrée pour l’algorithme – l’IA ne fait-elle pas que reproduire à l’infini notre besoin de « faux spontané » ?
Derrière cet engouement pour le simulacre et le rétro digital, se cache une tendance de fond : l’aspiration au lâcher-prise… sans jamais quitter son smartphone. Faut-il s’inquiéter du fait que nos souvenirs les plus doux puissent désormais être conçus sur mesure ? L’IA fabrique-t-elle les échappatoires dont nous avons besoin — ou ne fait-elle que pallier une société qui n’arrive plus à s’arrêter ?
Source : Techcrunch




