Pourquoi des géants du capital-risque comme Accel et Prosus parient-ils soudainement sur les startups indiennes dès leur premier souffle, et qu’est-ce que cela révèle sur la mutation en cours dans l’économie technologique du sous-continent ?
À première vue, ce rapprochement inédit — Prosus investissant pour la première fois dès le stade de la création, aux côtés d’Accel — pourrait ne sembler qu’un nouveau coup médiatique dans la course à l’innovation. Mais derrière l’annonce se cache une conviction partagée : la prochaine vague d’innovation en Inde ne viendra plus d’une simple adaptation de modèles occidentaux, mais d’une volonté de résoudre les défis systémiques made in India. Y a-t-il réellement aujourd’hui une place pour des startups capables de transformer des secteurs entiers comme l’automatisation, les services internet ou la transition énergétique, et de toucher un marché de plus d’un milliard d’utilisateurs ?
Depuis quelques années, le sous-continent affiche une croissance digitale inégalée, stimulée par des infrastructures telles que l’UPI ou Aadhaar. Pourtant, la majorité des jeunes pousses indiennes se sont jusqu’ici contentées de copier des success stories internationales. Est-ce par manque de financements ou par peur du risque spécifique au marché domestique que les fondateurs ont longtemps hésité à attaquer les « vrais » problèmes du pays ? Le nouveau partenariat cible justement ces « leap tech », promettant des tickets d’entrée dès 100 000 $ pour ouvrir le champ des possibles.
Ce virage stratégique est-il suffisant pour permettre à l’Inde de prendre, voire de créer, une place de choix dans la prochaine révolution technologique mondiale ?
La démarche est d’autant plus intrigante que Prosus, jusqu’ici réputé pour ses investissements plutôt tardifs (Swiggy, Meesho, PayU), ne cherche même pas à obtenir une part équivalente du capital lors de ce premier tour : seul compte, selon son représentant Ashutosh Sharma, la capacité d’identifier le futur champion à la Tencent ou iFood, dès sa gestation. N’est-ce pas le signe que la bataille ne se joue plus uniquement sur l’argent, mais aussi sur l’accès privilégié aux innovateurs d’un nouvel ordre mondial ?
Ce partenariat intervient d’ailleurs dans un contexte où les tensions géopolitiques redessinent les flux de capitaux et forcent les investisseurs mondiaux à repenser leur stratégie. L’Inde, avec son marché intérieur gigantesque, son accélération numérique et une main-d’œuvre tech toujours plus formée, serait-elle en train de devenir la nouvelle terre promise des fonds internationaux, alors que la Chine semble moins accessible ?
Les premiers résultats de l’incubateur Atoms d’Accel semblent prometteurs : plus de 30 % des startups accompagnées ont trouvé de nouveaux investisseurs, malgré une chute générale des levées de fonds (–25 % en 2025 !). Pourtant, même avec des coalitions réunissant plus d’un milliard de dollars, comme celle formée récemment par huit fonds indo-américains, il reste à prouver que la prochaine licorne viendra bien d’un projet résolument « deep tech » et original, plutôt que d’une énième variation locale d’un modèle étranger.
Alors que la place de l’Inde sur l’échiquier mondial est scrutée par tous les acteurs de la tech et de la finance, la question n’est plus « l’Inde peut-elle ? » mais « l’Inde veut-elle et saura-t-elle saisir cette fenêtre de tir unique pour enfin devenir créatrice de standards mondiaux — et non simple consommatrice ? »
Source : Techcrunch




