Qu’ont en commun Meta qui jette des milliards à la mer pour un empire IA fantasmé (voir ici), les robotaxis de Waymo régulièrement transformés en cible mobile par une population excédée (par là), et la SEC qui révolutionne la transparence boursière… en laissant tourner la machine sans les gardiens du temple (ici) ? La réponse tient en un mot : foi – ou plutôt, une foi technologique paradoxale capable de vider des comptes en banque, d’enflammer des voitures, et de transformer la confiance en une politesse toute boursière.
Prenez Meta : sous prétexte de parier sur “l’avenir de l’IA” (et de dévorer un PIB européen par an), Zuckerberg agite des PowerPoints où le concret s’efface derrière des serveurs géants et des promesses brumeuses. Le burn-out de Wall Street ne tarde pas, car parier sur des supercalculateurs sans résultat visible, c’est comme commander du rêve en solde… Mais dans la Silicon Valley, il semble plus rentable de “cramer du cash” que de vendre du concret. Et Waymo, dans ce décor de fiction dystopique, conduit de son côté une armée de taxis autonomes qui suscitent rejet, sabotage, et battle autour de la souveraineté numérique. Paradoxe : plus la promesse de sécurité algorithmique s’alourdit, plus la paranoïa collective s’enflamme. Nos routes, envahies par des voitures bardées de capteurs, deviennent le théâtre où se rejoue la vieille querelle entre innovation et résistance populaire.
Tout cela se répercute dans le grand théâtre boursier où la SEC, elle, baisse la garde en plein shutdown. On laisse passer les IPOs sans vérification préalable, “confiance oblige”. La transparence, hier sanctuarisée par un processus rigide, s’effondre momentanément dans un laisser-faire inédit… de quoi transformer la bourse en ruée vers l’or pour start-ups aventureuses et investisseurs crédules. Derrière ces trois histoires, une question commune surgit : avons-nous encore le moindre filet (technologique, démocratique ou financier) au-dessus du vide d’un progrès toujours plus accéléré ?
De la data amoureuse au taxi sous surveillance, la technologie promet du lien mais construit surtout de nouveaux labyrinthes d’incertitude.
Dans les coulisses de cette grande pièce, Google peaufine sa stratégie d’occupation visuelle avec un nouvel onglet “Images” pour s’attaquer au fief de Pinterest (c’est par ici). En surface, il s’agit d’inspiration créative. En vrai, c’est toujours la médiation de la donnée : on inspire d’un côté, on monétise de l’autre, et on irrigue le tout par une boucle publicitaire. Même logique sur le terrain du cœur avec Facebook Dating (voyez-là), où l’on prétend offrir l’amour sans frais, sauf ceux – invisibles – de la captation d’attention et de data. Du “like” au “match”, la séduction elle aussi passe par l’algorithme-roi… et soudain, la vie privée ne tient plus qu’à un paramètre au fond des réglages.
L’époque accélère, relie, fluidifie – et, paradoxalement, creuse le doute. Incapables d’attendre ni vraiment de croire, nous oscillons entre fascination et sabotage, entre romantisme algorithmique et paranoïa branchée. Et si le numérique, derrière ses promesses de “communauté”, ne savait offrir que des expériences test & learn où chaque sourire, chaque trajet, chaque investissement devient beta-testeur d’un monde sans mode d’emploi, ni garde-fou définitif ? Après tout, qui se satisfait d’un burger virtuel ou d’un amour programmé quand le frisson réel tient autant à la surprise qu’à l’imprévu – qu’il surgisse d’un serveur IA, d’un taxi Waymo vandalisé, ou d’un match trop parfait pour être honnête ?




