Jusqu’où l’influence entrepreneuriale peut-elle s’étendre au sein du gouvernement, sans franchir la ligne rouge du conflit d’intérêts ? Depuis l’annonce du financement de 22 millions de dollars de la start-up Vultron – accompagnée d’une mise en avant remarquée de l’investisseur Craft Ventures, cofondé par le conseiller IA de la Maison Blanche David Sacks –, la question interroge jusqu’aux plus hautes sphères de la sphère tech et politique américaine.
Pourquoi la nomination de Sacks, figure incontournable du capital-risque, continue-t-elle de faire polémique ? L’homme n’a jamais vraiment quitté le privé en entrant dans le giron de Trump : il a obtenu deux autorisations d’éthique lui permettant de conserver ses intérêts dans les secteurs même qu’il régule. Son implication chez Craft Ventures – qui a investi dans Vultron, une société spécialisée dans l’IA pour les sous-traitants du secteur public – brouille-t-elle dangereusement la frontière entre intérêt privé et mission d’État ?
Plus troublant encore, les chiffres avancés dans les documents officiels ignorent soigneusement d’estimer l’ampleur réelle des sommes en jeu. Seulement 3,8 % des actifs de Sacks sont investis dans Craft ? Pour un milliardaire, cette proportion peut signifier des dizaines de millions de dollars, souligne la professeure Kathleen Clark, spécialiste en éthique gouvernementale. Est-ce vraiment ce à quoi l’on s’attend de la part d’un haut responsable public ? Et pourquoi la Maison Blanche accepte-t-elle un tel blindage légal, si ce n’est pour protéger Sacks au détriment de la transparence ?
Les pouvoirs publics sont-ils prêts à adapter leurs règles d’éthique à l’aune d’un capitalisme toujours plus hybride et mouvant ?
Le cas Vultron illustre ce paradoxe. Officiellement, l’investissement de Craft précède l’entrée de Sacks dans l’administration. Mais dans les faits, le conseiller national à l’IA conserve une participation financière dans une entreprise qui aide des acteurs privés à décrocher des marchés… que ses propres politiques pourraient faciliter. Cette simple coïncidence chronologique suffit-elle à dissiper une suspicion croissante ?
Les voix critiques se multiplient d’ailleurs au Sénat, à l’image d’Elizabeth Warren – qui ne mâche pas ses mots face à ce va-et-vient entre invitations millionnaires et arbitrages politiques. Sacks se défend, brandit ses nombreuses cessions d’actifs (plus de 200 millions de dollars de désinvestissements personnels et professionnels), et rappelle que chacune de ses opérations est désormais soumise à la rigueur d’un comité d’éthique. Mais la mécanique des dérogations légales suffit-elle à garantir l’impartialité du processus décisionnel ?
Le plus surprenant ? Sacks mène sa double vie en mode « part-time » : conseiller fédéral 130 jours par an, il animate en parallèle des podcasts et conférences très rémunératrices, renforçant le flou entre ses impératifs publics et ses intérêts privés. Une situation totalement inédite qui, selon certains observateurs, préfigure une « nouvelle normalité » dans la porosité entre la Silicon Valley et Washington.
Sommes-nous à la veille d’un basculement durable des règles du jeu ? Ou un futur gouvernement remettra-t-il de l’ordre dans ce marché gris ? En attendant, chacun se retranche derrière ses arguments : Sacks, derrière la loi, ses adversaires, derrière l’éthique. Une frontière si ténue qu’elle pourrait bien redéfinir les contours du pouvoir dans l’ère numérique.
Finalement, ce mélange d’intérêts privés et de fonction publique n’impose-t-il pas une refonte complète des dispositifs d’éthique pour éviter que l’exemplarité ne disparaisse sous la complexité de la finance et de l’innovation ?
Source : Techcrunch




