Dans la farandole technologique de cette semaine, difficile de ne pas être frappé par l’obsession collective pour la transparence : Apple qui tente de liquéfier le design de son OS, Google qui rêve d’une intelligence en miroir de Gemini, Nintendo qui promet un stockage sans fard pour la Switch 2, pendant que T-Mobile fait briller les zones blanches jusque dans le fond des vallées. L’époque réclame des interfaces limpides, des souvenirs vidéo aussi nets qu’une pub Apple, et une accessibilité au giga-octet comme au polaroïd. Mais sous la couche de verre (liquide ou non), la question reste : qui tient vraiment les commandes et pour quelles demi-vérités ?
Derrière l’effet waouh du « Liquid Glass » d’Apple, ou la promesse d’une expérience logicielle haute couture, on sent que la transparence reste un artifice esthétique, et non une vertueuse vertu de l’époque numérique. L’ancienne promesse de l’informatique – rendre visible l’invisible, donner à tous le contrôle et la compréhension – se transforme ici en une course à l’écran givré, où les utilisateurs sont soigneusement écoutés… mais pas trop. Car Apple corrige la transparence quand elle gêne la lisibilité, tout en nous vendant l’illusion d’un choix démocratique.
Face à cette vitrine, Google fait mine de réinventer la roue avec la gamme Pixel 10 – leaks, teasers, IA omniprésente – mais les vraies ruptures semblent compromises, tant le hardware et le software poursuivent le même idéal lisse : personnalisation pilotée, charge Qi2, Pixel Buds colorés, tout sur fond d’intelligence Gemini. Pas de quoi sortir une boule à facettes. Même la révolution attendue du stockage sur Switch 2 se résume à : “Pour plus d’espace, sortez la carte bleue, attendez la prochaine génération – et pour l’innovation, voyez plus tard.” L’obsession pour l’espace, l’archive et la mémoire atteint son paroxysme avec les plateformes IA comme Memories.ai, qui promet la synthèse de mois de vidéos comme autant de madeleines automatisées, sans même nous laisser le plaisir de la nostalgie floue.
L’ère techno-limpide n’a jamais compté autant de filtres, ni si peu de véritables révélations.
Au fond, ce qui se joue derrière ces vitrines polies, c’est la (non-)gouvernance d’un secteur où le contrôle et la souveraineté s’appellent “cloud”, “satellite” ou “plan IA national” (salut, l’Amérique ! l’Amérique peut-elle vraiment garder le contrôle sur l’IA ?). T-Mobile promet la fin des zones blanches grâce à Starlink, mais tue en passant la notion d’oubli et déplace la question de l’accès de la fibre à l’accès… du portefeuille. Pendant ce temps, la “transparence” promise anesthésie l’esprit critique : l’information coule, mais sur des rails balisés par marketing, abonnement ou fuite “contrôlée”.
La liquéfaction du design, du stockage, de l’intelligence et même du souvenir, loin d’offrir une clarté nouvelle, installe la confusion molle d’un monde où tout change mais où rien ne se révèle vraiment. La vraie révolution, aujourd’hui, serait peut-être d’accepter de regarder le numérique sans filtre : d’exiger la transparence dans ses coulisses, pas seulement sur ses icônes. Mais tant qu’on polira la surface sans oser soulever le capot, autant s’habituer à vivre dans une maison de verre… où chaque vitre est un miroir sans tain.




