Qui aurait cru, il y a vingt ans, que l’avenir de la créativité, de la surveillance parentale et de la souveraineté numérique reposerait sur des apps mobiles, des chaussures à AirTag et des IA qui peinent à distinguer un bug d’une fonctionnalité ? Pourtant, chaque innovation que nous avalons à la louche ne cesse de dévoiler de nouveaux visages de notre société : du smartphone choisi dans une jungle algorithmique à la guerre froide de la plateforme vidéo, jusqu’à la paranoïa douce du parent-traqueur et les logiciels qui s’autodiagnostiquent… ou s’autodétruisent. Tout se rejoint dans une farandole étrange, où le progrès avance aussi vite que notre capacité à questionner ses dérives les plus savoureuses.
Prenez le duel Edits/CapCut : Meta ausculte la tendance du moment et veut s’emparer du sceptre du montage vidéo, tout en recyclant les idées de ByteDance, éjectées à la moindre tension politique. Mais alors, pourquoi choisir son smartphone revient-il à une épreuve d’endurance intellectuelle, bombardé de fonctionnalités IA dont personne n’a demandé l’existence ? La réponse, ou son paravent, se retrouve dans le marketing des montres connectées, ces nouveaux bracelets électroniques acceptés de notre plein gré sous couvert de mieux vivre alors qu’ils nous enferment toujours plus dans l’écosystème du moment. L’interface devient l’identité – et gare à celui qui choisit le mauvais camp : chaque clic, chaque scroll, chaque cut est soigneusement optimisé (traduisez : surveillé) au bénéfice de la plateforme, pas forcément de l’usager.
Si l’on pousse ce fil d’Ariane jusqu’aux objets du quotidien, la boucle est bouclée : les enfants ne sortent plus sans GPS intégré, façon Find My Skechers, transposant sur la chair et les baskets la douce logique du tracking numérique. Demain, ce sont nos sneakers qui mp3eront notre position, et après-demain nos AI assistants qui corrigeront eux-mêmes leurs propres bugs (tout en en créant d’autres sur la route), comme le promettent les apôtres de PlayerZero. Ah, la gestion automatique de la complexité : une promesse qui a l’odeur de l’auto-justification algorithmique, et le goût amer de l’abandon progressif du contrôle humain.
Derrière l’empilement de promesses technologiques, se dessine surtout une société qui balbutie entre aspiration à la simplicité et acceptation résignée de la complexité opaque.
Dans ce grand cirque de la tech, la vidéo générative d’IA aspire désormais à sortir du studio pour diriger la voiture autonome et entraîner les robots qui garderont nos enfants et nos frontières. Tout devient matière à innovation, à condition de céder un peu plus de sa vie privée, de sa liberté de choix (merci Apple et Microsoft pour le rappel judiciaire) et de son imagination à des solutions clefs en main, uniformisées, apologétiques, mais fondamentalement interchangeables. Ironie ultime, le progrès se niche là où le souci de simplicité rejoint celui du risque calculé : vouloir tout vérifier, tout anticiper, tout comprendre, c’est inventer une transparence qui ne révèle jamais rien d’autre qu’une nouvelle couche de complexité programmée.
La société du « tout AI », du « tout connected » et du « tout monitoré » n’avance-t-elle pas à cloche-pied, réconciliant ses rêves de liberté technologique avec la douce langueur de la servitude volontaire ? À force de vouloir tout contrôler (ses vidéos, son vélo, son progéniture, son identité digitale), on finit par n’être plus que des opérateurs de son espace numérique, rigoureusement secondés – et bientôt remplacés – par des outils qui pensent, qui jugent, et qui coupent, parfois, un peu vite. Au fond, en 2025, ce n’est plus le gadget qui s’adapte à nos vies, mais nos vies qui deviennent le terrain de jeu du gadget.




