L’époque est au sprint technologique, là où l’intelligence artificielle devient tour à tour la grande prêtresse des investisseurs, la cible fétiche des géants, le pare-feu moral des plateformes ou la dernière caution de transparence numérique. On nous vend l’eldorado de l’IA pour start-ups sur fond de paniques industrielles, de bulles et d’espionnage à la petite semaine — parce que pendant qu’on regarde les taxis voler en s’entre-déchirant légalement chez Joby et Archer, Alphabet, lui, préfère tailler dans l’innovation médicale au profit de son obsession IA de plus en plus hégémonique. Qui survivra à cette montée des eaux, rongée entre compétiteurs dévorant la moindre data, nouveaux dispositifs de surveillance sociale et faux-semblants d’éthique ?
À la surface, la question serait d’abord celle de la résilience entrepreneuriale : comment émerger du marasme d’une jungle surchargée où 99 % des projets crèvent dans l’œuf et où la différence entre le glorieux produit IA et le simple bonus logiciel intégré par Microsoft ou Google tient à trois lignes de pitch ? Mais ce mimétisme obsessionnel, loin de nous rassurer, éclaire d’un jour cru le ballet pathétique de la tech : toutes les firmes veulent leur ticket IA, alimentant une compétition schizophrène… Pendant ce temps, le secteur des taxis volants vire à la lutte sans merci, critères d’intégrité industrielle foulés du pied, brevets et secrets techniques passant d’un boardroom à l’autre à la vitesse d’un drone en fuite.
Et comment ne pas voir dans la frénésie autour de la transparence algorithmique de X (ex-Twitter) le double miroir d’un malaise plus vaste : les outils anti-manipulation qu’on promet, à défaut de rassurer, plongent dans de nouveaux abîmes de soupçon et d’incertitude, démontrant toute la volatilité des promesses technologiques. Savoir si le troll MAGA qui pollue votre timeline vient du Montana ou de Bangkok devient une affaire de foi… ou d’opacité logicielle, au choix, alors que les couacs techniques alimentent la défiance.
À chaque nouvelle « avancée », la tech semble réinventer le monde — mais troque surtout les mirages contre de nouvelles zones d’ombre.
Même dans les jeux vidéo, l’angoisse du contrôle s’invite. Roblox promet des scans faciaux pour protéger les plus jeunes… tout en crispant son PDG, chaque question sur les risques venant illustrer cette fuite en avant permanente : croyez-nous sur parole, la sécurité sera d’autant plus performante qu’elle sera opaque. Pendant ce temps, l’empire Alphabet choisit de sacrifier la médecine, reléguant les rêves de Verily à de simples algorithmes d’optimisation, captifs d’un momentum IA plus rentable pour la bourse que pour la santé : la seule recherche qui compte désormais, c’est celle qui fait tourner la roue des datas de plus en plus verrouillées.
C’est le paradoxe de notre décennie : à mesure que la technologie promet d’éclairer la société et de la protéger, elle cultive de nouveaux angles morts, exporte la compétition jusque dans la morale et l’éducation, et consacre l’illusion d’un progrès linéaire. Après tout, pourquoi regarder ailleurs, ou plus loin, quand le vrai monde se vit entre deux procès, quelques bugs de localisation et de jolis slides présentant la prochaine “killer feature” IA, déjà périmée avant même d’être acquise ?




