Comment une entreprise pionnière de la génétique grand public peut-elle se retrouver au bord du gouffre, prise dans une tempête mêlant cyberattaque géante, faillite et bras de fer pour le contrôle de données aussi précieuses que controversées ? C’est la question que soulève la saga rocambolesque de 23andMe, dont le destin est désormais à nouveau entre les mains de sa cofondatrice, Anne Wojcicki. Mais cette seconde chance sera-t-elle suffisante pour restaurer la confiance des millions d’utilisateurs ?
En 2023, l’entreprise subissait un piratage aux conséquences massives, suivi d’une bataille juridique qui l’a conduite à la faillite en mars dernier. Pendant ce temps, Anne Wojcicki quittait son poste de PDG pour préparer une offre de rachat. Pourtant, tout laissait croire que le géant pharmaceutique Regeneron, avec son acquisition annoncée à 256 millions de dollars, allait rafler la mise et mettre la main sur le trésor de données génétiques détenues par 23andMe. Y avait-il des intentions cachées derrière cette course à l’acquisition ?
Coup de théâtre début juin : sans prévenir, le TTAM Research Institute — une organisation à but non lucratif chapeautée par Wojcicki — relançait la surenchère et obtenait l’accord pour un rachat à hauteur de 305 millions de dollars. Regeneron abandonnait la bataille, mais pour quelle raison ? Les règles du jeu semblent-elles différentes lorsqu’il s’agit de manipuler l’ADN de la population ?
23andMe se retrouve face à la double pression de la défiance publique et des autorités juridiques, remettant en cause la légitimité même du transfert de ses données génétiques.
TTAM assure vouloir protéger la confidentialité, promettant d’informer les clients, de leur permettre de supprimer leurs données et de lancer un conseil dédié à la vie privée dans les trois mois suivant la finalisation du rachat. Mais suffira-t-il d’un changement de gouvernance pour apaiser les 28 procureurs généraux américains qui s’insurgent contre la vente des actifs de 23andMe, accusant l’entreprise d’enfreindre le consentement fondamental de ses participants ? Sur quoi repose réellement la légitimité d’un acteur privé à céder (ou non) l’information génétique d’un pays entier ?
Dans une déclaration, Anne Wojcicki use de grands principes : « Nous croyons qu’il est essentiel d’offrir choix et transparence à chacun ». Pourtant, alors que le tribunal des faillites doit encore approuver l’opération, un ombudsman de la vie privée s’interroge ouvertement sur la compatibilité du rachat avec la politique de confidentialité initiale de 23andMe. L’équilibre entre l’intérêt scientifique, la responsabilité commerciale et le respect intime du génome individuel n’a jamais paru aussi précaire.
Le public, lui, n’attend pas. Depuis la faillite, 15 % des clients — soit probablement plusieurs centaines de milliers de personnes — auraient déjà demandé la suppression de leurs données. Signe d’une défiance profonde ou d’une simple stratégie de précaution face à l’incertitude ? Tracer l’avenir de 23andMe, c’est aussi suivre la métamorphose du rapport aux données personnelles : la transparence et la réassurance suffiront-elles à inverser la tendance?
Dans un monde où l’ADN est devenu une monnaie d’échange, qui doit vraiment avoir le dernier mot sur notre capital génétique ?
Source : Techcrunch




