Rares sont les journées où la technologie ne nous sert pas une tambouille mêlant capitalisme triomphant, science-fiction bien réelle et chasse à l’attention, sous vide ou sous orbites. Entre le dérapage contrôlé de Discord qui troque l’esprit communautaire pour des quêtes d’Orbs dignes d’un MMORPG publicitaire, et la volonté de Google de fusionner Android et ChromeOS pour perpétuer l’illusion d’un univers harmonieux, on comprend vite : la technologie d’aujourd’hui s’échine moins à nous rapprocher qu’à nous monétiser… ou à nous segmenter en éternels “abonnés temporaires”.
Dans le microcosme Discord, “Quests” et “Orbs” ne sont que l’avant-garde d’une transformation plus vaste de notre consommation numérique. À l’heure où Meta cherche à monopoliser la voix synthétique pour faire parler demain toute la planète comme Siri sous stéroïdes, Discord, lui, nous fait débiter du temps de cerveau contre des avatars colorés ou quelques crédits virtuels. C’est bien la même mécanique : achat de notre docilité, translation de notre attention en capital, et fétichisme de l’éphémère déguisé en innovation.
Ce capitalisme de l’attention connaît aussi sa version “petits arrangements entre amis” dans l’industrie du streaming. De bons plans éphémères en “deals” réservés aux distraits super-organisés, le consommateur, tel un cobaye en roue, multiplie les abonnements, chasse la promo, annule, recommence — sans jamais s’interroger sur le mirage de la flexibilité. Même le marché des trackers d’activité à prix cassés participe à cette grande foire : vendre le quantifié pour moins cher, mais vous y enfermer toujours plus, en douceur et en vibrations.
La simplification vantée n’est souvent qu’un mirage savamment orchestré pour mieux nous embarquer dans une planète d’abonnés, de vos trackers connectés à la moindre de vos voix.
Pendant que la plupart peinent à jongler entre offres et notifications, l’élite des géants s’adonne à une compétition d’influence — Meta acquiert la voix, Google fusionne les plateformes, Discord gamifie l’existence — et pendant ce temps, la sonde Parker, elle, continue son ballet sacrificiel auprès du Soleil (selfie spatial à l’appui). Paradoxe : à force de vouloir nous faire croire que chaque innovation doit nous coller à l’écran, certains projets véritables s’éloignent jusqu’aux confins du réel, éclairant de leur excentricité la routine algorithmique.
Étrange époque où les pas que compte notre poignet, la voix modulée de notre assistant, et même notre temps passé devant une pub sont convertis en unités d’appartenance à une matrice. La vraie révolution ne viendra sans doute pas de ce grand marché du “toujours plus connecté”, mais bien de notre capacité à regarder parfois un rayon de soleil – ou une sonde qui s’y brûle – hors des sentiers balisés par les oracles de la tech. Approprions-nous enfin la technologie, avant que les Orbs, la voix artificielle et nos abonnements multi-plateformes ne décident pour nous de notre humanité numérique.




