Il faut bien l’avouer : en 2025, la nostalgie numérique ne meurt jamais – elle fait des marathons, traverse la galaxie et saute du cloud en carapace bleue. Entre la nouvelle Star Wars Celebration à Los Angeles, le come-back rétro-futuriste de Paul Rudd et la Switch sur vitaminée, la tentative désespérée de Facebook de redevenir “cool”, et l’effondrement génétique d’une start-up de la généalogie, la techno-sphère ressemble de plus en plus à un mix improbable où chaque innovation veut conjuguer le passé simple avec le futur antérieur. Mais à force de caresser la mémoire, le risque est grand de finir par oublier d’inventer demain.
Prenons Star Wars, qui s’interroge encore, cinquante ans plus tard, sur la frontière entre hommage, fan service et pseudo-révolution (“Zero Company”, “Beyond Victory”, “Starfighter”…), jusqu’à s’allier avec Fortnite pour façonner une force cross-média où tout le monde est invité mais où la prise de risque créative relève du clin d’œil complice à l’algorithme. Nintendo, lui, préfère la pellicule du passé : il ressuscite Paul Rudd et les vibes néon pour vendre la Switch 2 comme le retour triomphal du doudou vidéoludique (“Paul Rudd and Play”). On recycle les pixels et les souvenirs sans tomber dans la ringardise, à condition d’avoir assez de pièces pour “continuer ?”
Pendant ce temps, chez Facebook, l’angoisse existentielle atteint des sommets : comment retrouver la lumière de la pertinence culturelle sans effacer tout le graphe social des utilisateurs ? Mark Zuckerberg, tel un héros tragique, rêve de raser la table pour mieux reconquérir le “cool factor” volé par TikTok et Instagram (Peut-on réparer la nostalgie sans sacrifier l’avenir ?). Dans les couloirs de Menlo Park, on tripote les boutons du passé tout en acceptant l’idée glaçante que les usages se vaporisent, comme nos souvenirs Facebook de 2007. Et pour les pionniers déchus de la tech, chaque option ressemble à une nouvelle saison de Black Mirror, version “poke ou unfollow ?”
L’innovation court la nostalgie, mais trébuche, souvent, sur la chaussure du souvenir.
Là-dessus, 23andMe vient rappeler que la question du patrimoine numérique – ou ici, génétique – flirte avec l’absurde : quoi de plus ironique qu’une start-up qui promettait de lier nos racines à tout jamais et doit aujourd’hui répondre au Congrès sur l’éventuelle vente, à la découpe, de nos ADN ? (23andMe) Vieux fantasme, nouvelle perte de contrôle : sommes-nous des héritiers ou juste les figurants d’une saga de “data leaks” où le twist final est écrit par l’administrateur judiciaire ? Même nos manières deviennent une variable économique : chez OpenAI, la politesse générée par ChatGPT coûte “des millions de dollars bien dépensés” à chaque “merci”, quand bien même on espérait éviter Skynet à coups d’amabilités (politesse artificielle). Reste à savoir si la mémoire des IA perdure plus longtemps qu’une “friend request” chez Meta. Quant aux robots des semi-marathons de Pékin, ils trébuchent encore sur le premier virage (les robots qui courent avec nous) : l’humanité a bien quelques tours d’avance sur la technologie, du moins tant qu’il faut courir sans changer sa batterie à mi-parcours.
Ce qui se joue là, c’est moins la technique brute ou la performance que la bataille entre nostalgie, résilience du récit collectif et tentation du “reset” permanent. Le passé technique est recyclé à l’infini, de Mario au graphe social, mais avec la peur sourde de ne plus jamais retrouver la “sensation” du premier jeu, du premier poke, du premier “je viens de finir Star Wars !”. Alors, autant reprendre son souffle, affûter ses pouces… et rester poli (mais pas trop longtemps) : la prochaine boucle d’innovation, c’est déjà demain, ou tout de suite après une bonne vieille mise à jour.