Un soir, la lune s’éclipse ; ailleurs, Psyche file dans un silence de métal, tandis que les GPU Nvidia chauffent la salle des machines de l’IA mondiale. Quel fil invisible relie ce ballet cosmique, cette conquête spatiale désincarnée, et la croissance absurde de nos infrastructures numériques ? À l’ère du tout-calcul, la question n’est plus de contempler la voûte céleste d’un air rêveur, mais de dompter son reflet pixelisé via capteurs, réseaux et dollars. Faut-il encore lever les yeux, ou bien se résoudre à tout regarder — et peut-être tout manquer — derrière l’écran étroit de nos exploits technologiques ?
Que l’on s’attarde sur la belle indifférence de la lune ou sur les points perdus que Psyche photographie à 180 millions de kilomètres, une même fascination opère : la mise à distance de ce qui nous dépasse. Les cycles du satellite, si précis qu’ils structurent nos calendriers et nos marées, rivalisent de poésie avec les technologies qui tentent de tout cartographier. La lune fait sa star, jamais tout à fait la même et pourtant totalement prise dans la boucle infernale des datas et du spectacle. D’une lunaison à l’autre, nous voilà à conjuguer science, mythe et widgets météo, afin de ne rien manquer — quitte à précisément manquer l’essentiel.
Mais alors, faut-il s’étonner que dans le même temps, Nvidia, l’oracle du silicium, s’enrichisse à transformer chaque photon, chaque modèle d’OpenAI, en profit stratosphérique, tel un Midas des tokens ? L’astronomie moderne, dopée aux caméras embarquées et aux processeurs toujours plus gourmands, digère la beauté du ciel pour alimenter les rêves de Wall Street et les guerres d’influence matérielles. Les cycles lunaires servent aujourd’hui d’API pour applis de méditation, tandis que les photos du “Pale Blue Dot 2.0” ne semblent bouleverser que ceux qui n’ont pas déjà remplacé l’émerveillement par l’accélération de leur bande-passante.
Trop occupés à scruter les étoiles numériques, nous oublions que c’est l’ombre portée de leurs cycles qui nous façonne, bien plus sûrement qu’un algorithme ou un selfie lunaire.
Pendant ce temps, la géopolitique jongle avec les puces Nvidia et la lune continue imperturbablement à ghoster les terriens chaque mois, indifférente à nos rivalités ou à nos prouesses. Les frontières s’inventent entre pixels et brevets, la Chine tord le bras au GPU-star, mais la vraie danse se joue à hauteur d’orbite : celle des cycles, qu’aucune intelligence, même artificielle, ne saura jamais pleinement domestiquer. Si Psyche finit par s’écraser, si la lune disparaît derrière un nuage ou un relâchement de l’API météo, qu’est-ce qui nous restera sinon la nostalgie — ou la fierté nostalgique — d’avoir raté l’instant un smartphone à la main ?
Dans ce monde de cycles, de records et de pixels divinisés, il serait peut-être temps de regarder à nouveau plus haut, ou mieux encore : d’apprendre à savourer les interludes, ces phases d’ombre qui échappent à toute quantification. Puisqu’il paraît qu’« on ne voit bien qu’avec les yeux », essayons, pour une fois, de fermer l’application et d’ouvrir vraiment les paupières.




