Dans la grande kermesse de la technologie moderne, chacun y va de sa danse derrière le rideau. Entre les startups survalorisées telles qu’Anthropic qui font les yeux doux aux capitaux mondiaux, les géants du silicium comme Nvidia prisonniers de leur propre oligopole clientéliste, ou encore les outsiders façon MarqVision qui prétendent moraliser en IA la jungle des contrefaçons, on se demande : la tech sait-elle faire autre chose qu’accélérer le monde, quitte à ne pas savoir où, ni pour qui ? Les étoiles du business brillent, mais à bien scruter le firmament, c’est aussi l’ombre des compromis et des failles qui dessine nos constellations numériques.
Pourquoi ces milliards pleuvent-ils chaque semaine sur des licornes qui jurent la main sur le cœur vouloir un monde plus sûr, plus juste, plus… scalable ? Tandis qu’Anthropic engrange des capitaux venus de fonds dont la morale variable s’offre tous les sièges du conseil d’administration, Nvidia ne tient sa couronne que parce que deux ou trois géants du cloud ne peuvent plus s’en passer pour leurs appétits d’IA. Et MarqVision, en bon justicier digital, trace la cartographie des failles en tout genre – failles juridiques comme failles humaines – tout en promettant l’exorcisme à coup de computer vision.
Sur cet échiquier, chaque acteur rachète sa part de légitimité. Les Side Events de TechCrunch Disrupt ne sont plus les coulisses où l’on bricole son badge d’initié, mais le terrain concret où l’on débat du futur sous couvert “d’off”. De la bulle à la salle de réunion, on s’invente des codes pour s’armer contre toutes les fuites : de données chez TransUnion, de contrôle chez Thinking Machines (Le Hasard Machiné), d’intimité chez TikTok. L’équation ne dépend plus seulement de la meilleure technologie, mais du bon marketing de la confiance – et de la faculté à masquer, sous l’apparence de la nouveauté, la complexe mécanique des chaînes de dépendances financières et relationnelles.
Le numérique promet l’ordre, mais n’invente que des façons sophistiquées d’ancrer le chaos – technologique, financier, social.
Au fond, toute la scène technologique oscille entre la fascination pour les cycles parfaits (comme ceux de la pleine lune, implacablement régulière mais toujours mystérieuse) et la folie du hasard maîtrisé (croire, chez Thinking Machines, qu’on va dompter l’aléatoire des IA). Dans cette grande illusion de contrôle s’échappent pourtant les données, les accords inavoués, et la promesse sans cesse renouvelée de “réparer” ce qui, hier encore, devait être révolutionnaire. Ironique, n’est-ce pas, de chercher dans l’invisible du digital les secrets du futur, quand la seule chose qui paraît stable, c’est la cyclique répétition des erreurs humaines déguisées en progrès ?
La prochaine disruption n’est peut-être pas là où elle s’annonce, ni dans une ligne de code, ni sur le marché des puces, ni même dans la lune que l’on contemple. Elle émergera là où le pouvoir de l’informel, le soupçon de l’éthique transactionnelle et la vanité de la transparence coincident pour quelques instants avec nos rêves de maîtrise. Et ce jour-là, peut-être, la “grande scène” tech ressemblera moins à une levée de fonds cosmique qu’à la shadow party du siècle, où seuls ceux qui questionnent la lumière sauront lire les vraies lignes du script.




