En 2025, le rideau se lève sur un opéra technologique où l’intelligence artificielle, le shopping algorithmique, la surveillance d’État et la folie boursière dansent une sarabande effrénée. À l’heure où OpenAI orchestre des levées de fond flamboyantes et des alliances tentaculaires, on peine à distinguer si l’on assiste à la naissance d’un nouvel âge d’or de l’IA, ou à la formation d’une bulle dont la démesure n’a rien à envier à celle de la tech indienne, ivre de son succès éphémère à la bourse avec l’IPO de Lenskart.
Cette ivresse spéculative n’est pourtant qu’un symptôme. Car partout, tout s’accélère : des consommateurs américains réduits à des flâneurs guidés par des algorithmes bavards pendant la saison des achats — la palme à l’IA générative, bientôt maître de nos listes de cadeaux — jusqu’aux mastodontes de l’industrie automobiles, tentés de brader les rêves autonomes qui s’écrasent, comme chez Luminar, sous le poids d’une réalité économique que même le Lidar ne distingue plus dans la brume boursière. On survalorise, on sous-performe, on ajuste, on licencie — les chiffres valsent et la confiance, elle, vacille.
Parallèlement, à mesure que l’IA conquiert le commerce et la confiance des investisseurs, elle grignote des pans entiers de notre autonomie. Est-ce un hasard si, au cœur de cette effervescence, le doute s’installe aussi sur notre capacité — individuelle et collective — à reprendre la main sur ces outils, qu’il s’agisse des recompositions stratégiques et juridiques d’OpenAI ou de la prolifération de logiciels espions comme Paragon ? Désormais, ce ne sont plus nos envies de consommer qu’on anticipe, ce sont aussi nos libertés privées qu’on consigne dans des dossiers invisibles, sans autre procès qu’un automatisme bureaucratique, hors de tout contrôle démocratique.
La technologie n’est plus seulement un miroir de nos rêves, c’est une ombre portée sur nos choix, nos données, nos libertés – et bientôt, notre portefeuille.
D’un côté, la promesse du bien commun, fièrement brandie par OpenAI et Microsoft, semble se liquéfier au fil des contrats mirobolants et des acrobaties juridiques ; de l’autre, le capital-risque multiplie les paris délirants, au mépris de la solvabilité la plus élémentaire, comme si la rentabilité n’était plus qu’un story-telling de plus, taillé pour rassurer les foules et boursoufler les bilans jusqu’à la rupture. Que ce soit sur le marché indien avec la frénésie Lenskart ou dans la Silicon Valley avec l’apothéose – peut-être crépusculaire – d’OpenAI, ce sont toujours les mêmes questions qui planent, comme une brume sur les promesses numériques : qui profite réellement ? Qui paiera les pots cassés si la roue tourne ?
Peut-on encore croire à la cohabitation de la créativité technique et de l’intérêt général ? Ou vivons-nous désormais dans un monde où chacune de nos initiatives, de nos achats compulsifs à nos données les plus intimes, n’est plus que la monnaie d’échange d’une économie qui change de main à la vitesse d’un clic, où le progrès n’est plus synonyme d’émancipation, mais de dépossession accélérée ? Le progrès, c’est aussi savoir qui tient la barre alors que la tempête fait rage — et ce matin, les pilotes semblent être les IA elles-mêmes.




