Le monde du travail s’apprête-t-il à être submergé par une vague de robots intelligents, laissant les humains sur le carreau ? La question n’a jamais été aussi brûlante, tant les annonces des géants de la tech et les prédictions des experts s’opposent sur l’avenir du travail assisté ou remplacé par l’intelligence artificielle.
D’un côté, certains acteurs majeurs de la Silicon Valley, comme le capital-risqueur Marc Andreessen, n’hésitent plus à suggérer que seuls quelques élus – sans doute eux-mêmes – garderont un emploi dans un univers où les bots feront tourner l’économie. Faut-il vraiment croire à cette prophétie élitiste ? Ou l’histoire industrielle invite-t-elle à davantage de nuance ? Selon le Forum économique mondial, si 92 millions de postes seront supprimés par l’automatisation, près du double, soit 170 millions, pourraient être créés.
Mais quid des travailleurs de l’ombre, ceux pour qui un diplôme en IA n’est ni un rêve, ni même une option ? Les salariés peu qualifiés, employés dans des entrepôts ou sur des chaînes de production, n’assistent-ils pas déjà à l’arrivée de leurs remplaçants mécaniques ? L’annonce récente d’Amazon, dévoilant son robot Vulcan doté d’un « sens du toucher » et capable d’exécuter des tâches ergonomiquement difficiles, offre un aperçu inquiétant d’un futur où machines et humains se partagent – pour combien de temps – les tâches de manutention.
Amazon promet la création de nouveaux métiers grâce à la robotique, mais combien pourront s’y reconvertir ?
Le géant du commerce en ligne, soucieux de ménager sa communication, assure pourtant que ses robots travaillent « aux côtés » des humains, pour épargner à ces derniers la pénibilité des postures extrêmes. Mais ce discours rassurant ne masque-t-il pas la réalité d’un transfert progressif des compétences ? Car pendant que Vulcan grimpe ou se penche à la place de l’homme, Amazon forme en parallèle un nombre réduit d’employés à la maintenance robotique – une reconversion loin d’être accessible à tous.
Certes, la firme affirme avoir créé « des centaines de nouvelles catégories d’emplois », mais le ratio est loin d’être de un pour un. Toutes les personnes licenciées – ou remplacées – n’auront ni l’envie, ni les compétences pour devenir techniciens de robots. Alors, que devient le reste de la main-d’œuvre ? Se retrouveront-ils relégués à des tâches de plus en plus minimisées, ou bien laissent-ils sans le savoir la voie libre à une marginalisation sociétale et professionnelle ?
La question du sort réservé à ces travailleurs se pose d’autant plus que, jusqu’ici, peu d’initiatives concrètes de reconversion massive ont vu le jour. Faudra-t-il demain se contenter d’emplois de « superviseur d’automates », comme on trouve aujourd’hui des caissiers observant des rangées de caisses automatiques ? Ou cette transformation du travail restera-t-elle l’apanage d’une poignée d’entreprises géantes, à l’image d’Amazon ou des constructeurs automobiles, sans bouleverser l’emploi dans le reste du secteur tertiaire ?
En réalité, l’histoire récente montre que la mutation annoncée n’est ni linéaire, ni inéluctable. Rappelons que la technologie Amazon Go – censée supprimer les caissiers via l’automatisation – n’a jamais vraiment trouvé preneur, ni convaincu la grande distribution. La solution, déployée à grand renfort de buzz médiatique, s’est même avérée reposer sur un nombre élevé de travailleurs indiens, chargés d’étiqueter les vidéos… Belle ironie sur la promesse d’autonomie totale des machines.
Face à cette incertitude grandissante, la société est-elle prête à revaloriser ou requalifier massivement les nouveaux « travailleurs de la robotique », ou risquons-nous de voir s’accentuer la fracture entre les « sachants » et les « remplacés » ?
Source : Techcrunch