La transformation numérique de la marine américaine passerait-elle inaperçue, alors que la technologie façonne si radicalement notre monde ? Pendant que les vedettes de la Silicon Valley s’habillent en uniforme pour impressionner, se pourrait-il que la vraie révolution se joue sur les bancs bien plus discrets de l’US Navy ? Au-delà de l’effet de mode porté par des leaders de la tech, un bouleversement silencieux mais décisif est en train de modifier la façon dont l’armée interagit avec le secteur de l’innovation.
Pourquoi entend-on si peu parler du bouleversement à l’œuvre dans la marine, alors que son Chief Technology Officer, Justin Fanelli, affirme avoir transformé en profondeur les processus poussiéreux d’acquisition et la lourdeur bureaucratique qui faisaient fuir les start-up ? Oserait-on imaginer que la « vieille » administration puisse rivaliser avec la rapidité des entreprises privées ? Pourtant, à en croire Fanelli, elles n’ont jamais été aussi « ouvertes au business » et à l’écoute de nouveaux partenaires. Se pourrait-il que le gouvernement fédéral ait enfin appris à marcher au tempo de l’innovation ?
Quels outils ont permis ce tournant ? L’adoption d’un « kit d’innovation » piloté par la Navy vise à abattre le fameux “Valley of Death” – ce gouffre dans lequel tant de brillantes idées meurent avant d’atteindre l’échelle industrielle. Terminé les plans incompréhensibles pour entrer dans le système, aujourd’hui, tout commence avec les résultats : prouvez que votre technologie fonctionne et la marine pourrait vous ouvrir ses portes, devenant un véritable client au même titre que l’industrie privée.
La Navy ne réclame plus de solutions toutes faites : elle expose ses problèmes et invite l’écosystème technologique à proposer des approches radicalement nouvelles.
Mais cette ouverture porte-t-elle déjà ses fruits ? Oui, à en croire les exemples cités : en quelques mois seulement, une start-up spécialisée dans la cybersécurité – Via – a déployé sa solution auprès de la Navy, réduisant drastiquement des cycles d’achat interminables. Plus étonnant encore, une opération menée par le Defense Innovation Unit s’attendait à une poignée de réponses sur un défi pointu. Résultat : près de cent propositions, dont des acteurs totalement novices dans les marchés publics, mais déjà rodés à l’exigence du privé. L’offensive d’attractivité a-t-elle retourné la logique ? On dirait bien que oui.
Les ambitions de Fanelli, forgées par un parcours personnel marqué par la résilience et la volonté d’intégrer l’armée malgré les obstacles, donnent une couleur singulière à cette stratégie. Son approche – empruntée aux meilleurs standards de l’innovation des sociétés de conseil – consiste à formuler d’abord le problème, plutôt que d’imposer une solution prédéfinie. Les start-up peuvent alors rivaliser d’audace, proposer des plateformes d’IA, des alternatives au GPS traditionnel ou des outils de modernisation des vieux systèmes embarqués. Mais la Navy se prépare-t-elle à aller plus loin et à accélérer encore le rythme au fil de l’évolution de l’IA ?
Toutefois, quels obstacles restent à franchir ? Selon Fanelli, le plus grand écueil n’est rarement d’ordre technique. C’est souvent le verrouillage budgétaire : tant qu’une nouvelle technologie n’évince pas un système ancien, difficile de garantir son financement à long terme. Et ce décalage – jusqu’à 18 mois de latence pour qu’un pilote soit pérennisé – peut briser le rêve de tout investisseur et décourager le plus déterminé des entrepreneurs. L’enjeu ? Oser rompre avec le passé, régler la dette technique accumulée et enfin s’ouvrir pleinement au secteur privé.
Mais à l’heure où la politique industrielle américaine veut rapatrier ses capacités de production, la Navy se félicite d’être désormais en phase avec « la résilience nationale », misant sur l’impression 3D, les jumeaux numériques et l’autonomie industrielle. Reste à savoir qui, dans l’écosystème, saisira la perche tendue. Le message est clair : l’administration n’est plus un champ de mines pour l’innovation, mais une opportunité à saisir sur fond de regain de « patriotisme » dans la Silicon Valley. Est-ce le début d’un authentique nouvel âge d’or dans le partenariat entre la tech et la défense américaine ?
Source : Techcrunch