Les États américains doivent-ils être tenus à l’écart de la régulation de l’intelligence artificielle pendant une décennie ? La question s’est imposée au Sénat américain cette semaine, alors que les parlementaires de tous bords se sont prononcés sur une mesure controversée, proposée discrètement dans un projet de loi d’envergure. Pourquoi ce fameux “AI moratorium”, soutenu par la Silicon Valley, a-t-il fait autant de vagues à Washington ?
À l’origine, la disposition était simple et redoutablement efficace : interdire aux États américains de légiférer sur l’IA pendant dix ans. Imaginée par le sénateur républicain Ted Cruz et plébiscitée par des géants du secteur comme Sam Altman (OpenAI) ou Marc Andreessen (a16z), elle avait pour but, selon ses défenseurs, d’éviter “un patchwork ingérable” de lois locales sur l’IA qui minerait l’innovation. Mais cette vision centralisatrice sert-elle vraiment l’intérêt général, ou ouvre-t-elle la porte à une déréglementation dangereuse pour le consommateur ?
En effet, la levée de boucliers fut rapide et transpartisane. Comment justifier que l’on prive durablement les États de tout pouvoir de surveillance face aux avancées fulgurantes – et parfois opaques – de l’IA ? Les Démocrates, largement contre, mais aussi de nombreux Républicains, ont dénoncé un cadeau empoisonné pour le citoyen et une aubaine pour les grandes entreprises technologiques. N’est-ce pas risqué, alors que chaque État fait face à ses propres enjeux et priorités en matière de régulation technologique ?
Face aux ambitions de la tech, le Sénat a finalement préféré retoucher les règles du jeu.
La tension a culminé avec l’amendement de la sénatrice Marsha Blackburn, initialement opposée à la disposition… avant de tenter un compromis en raccourcissant la durée du moratoire de dix à cinq ans. Mais, après de multiples revirements, Blackburn a fini par retirer tout soutien à la mesure. Coup de théâtre : le Sénat a voté à une écrasante majorité (99-1) pour supprimer purement et simplement ce moratoire sur la régulation de l’IA par les États.
Ce vote massif laisse entrevoir une Amérique encore divisée sur la méthode mais résolue à ne pas abandonner “le terrain de jeu” aux seuls gros acteurs du secteur. Peut-on vraiment penser que la régulation de l’IA peut se passer de niveaux de vigilance locaux, alors que les usages et les risques diffèrent profondément d’un État à l’autre ? L’avenir dira si cette liberté d’action maintenue pèsera dans l’innovation… ou dans la protection du public.
En repoussant un moratoire qui arrangeait logiquement les grandes entreprises d’IA, le Sénat a-t-il ouvert la voie à une explosion de lois étatiques contradictoires, ou bien à une démocratie technologique plus équilibrée ?
Source : Techcrunch