Il fut un temps où le numérique se résumait à discuter de mises à jour logicielles et d’e-mails foireux envoyés à toute la boîte. Aujourd’hui, c’est un théâtre mondial où IA, failles de sécurité, course à la souveraineté, guerres commerciales et mutations artistiques s’entrecroisent. Prenez l’interminable ballet géopolitique autour du rachat de TikTok : les États-Unis et la Chine négocient le sort de l’app préférée des ados, pendant que Trump promet sur Truth Social une playlist partagée avec Xi Jinping. Ce qui paraît relever du vaudeville est en réalité la preuve que la technologie, plus que jamais, cristallise des tensions de pouvoir d’une ampleur inédite – comme si chaque scroll de TikTok pouvait déstabiliser une ambassade.
Dans la coulisse, la question du contrôle ne se limite pas aux réseaux : elle s’immisce jusque dans nos portefeuilles et nos secrets bancaires, révélée par la fuite de données bancaires en Inde. Ici, ce n’est pas un panda dansant qui inquiète, mais un serveur Amazon S3 ouvert comme une tirelire d’enfant, exposant des centaines de milliers de comptes à la curiosité du web. Entre minimisations maladroites des fintechs et banques qui font la sourde oreille, l’incapacité chronique à sécuriser la ruée vers le cloud interroge notre aveuglement techno-béat : la rapidité d’innovation s’apparente-t-elle à une descente en toboggan sans freins ?
Ce creuset entre régulation, innovation et défaillances humaines façonne toute la chaîne de valeur : pendant que les médias paniquent de voir leurs revenus aspirés par les AI Overviews de Google, la très européenne Mistral AI tente de soulever son étendard de souveraineté face à la déferlante américaine d’OpenAI. On rachète une startup financière comme on s’offre une couronne lors d’un week-end d’intégration (OpenAI qui absorbe Roi), mais surtout son fondateur, histoire de personnaliser la machine au centime près. À chaque rachat, fuite de données ou procès à Google, la promesse d’un monde technologique total, simple et protégé, vacille sous le poids de ses propres contradictions.
Quand la technologie prétend tout relier, elle expose surtout nos failles collectives et notre incapacité à penser la société AVANT le code.
Car la fracture entre innovation effrénée et responsabilité mature n’épargne ni les spectateurs ni les artistes. Au Lincoln Center de New York, l’IA devient partenaire de scène, entre réalité 4D, afrofuturisme augmenté, et absence totale de livrable obligatoire – une subversion des dogmes du rendement, tout en flirtant avec la crainte d’une généralisation kitsch et uniformisante de la création. Pendant ce temps, la ville connectée s’écrit sans conducteur avec les robotaxis Waymo, prêts à envahir les aéroports – mais qui donc saura encore orchestrer ce ballet si toutes les scènes deviennent automatisées et toutes les partitions générées par algorithme ?
Le numérique, loin de s’être stabilisé, révèle à chaque nouvelle crise son inachèvement fondamental, un work in progress global où la souveraineté s’arrache sur TikTok, la confiance fuit dans le cloud, la créativité se cherche sur scène et la mobilité répète les mêmes embouteillages… mais sans main humaine au volant. À force de promettre personnalisation, efficacité, sécurité, la technologie sème surtout le doute et la dépendance – et c’est peut-être sa fonction ultime. Après tout, dans ce théâtre où tout le monde veut la couronne, qui, sinon les utilisateurs, pourrait finir… véritable roi de la pièce ?




