Dans la grande foire technologique de 2025, la consolidation n’est plus un luxe, c’est une pulsion — que ce soit chez les créateurs d’images génératives comme Recraft, gourmands d’investisseurs et de benchmarks, ou chez les ogres du back office façon Employer.com, qui absorbe des startups à la cadence d’un aspirateur industriel à crédits d’impôt. Ce grand Monopoly numérique file-t-il vraiment vers l’innovation, ou bien assiste-t-on à un vaste recyclage de promesses cassées, où le mirage de la nouveauté masque mal la peur panique du vide, comme chez Deliveroo dévoré par DoorDash sous prétexte de « synergies » ?
Tout le secteur ressemble à une partie de chaises musicales où chacun pioche dans la boîte à outils de l’IA — en vrac, pour la recherche scientifique avec Anthropic, le back office, la livraison de burgers, ou la voiture qui ne connaît plus l’insomnie chez Waymo. Mais dans cette effervescence, l’automatisation devient dogme industriel : on fusionne les services, on uniformise les offres, et chaque secteur rêve d’une “G Suite” de sa spécialité. Résultat : à courir derrière l’efficience et la verticalité, on transforme tout ce qui dépasse en standardisation monochrome — même la créativité des logos et la livraison de sandwichs y passent.
Dans cette ruée, on réclame l’”open” sur tous les fronts : “innovation ouverte” chez Recraft ou Mistral, “open science” chez Anthropic, “open mobility” avec Uber et ses robotaxis WeRide (lire ici), tout en verrouillant derrière l’autre main les vraies recettes et les data stratégiques — étonnante schizophrénie des acteurs qui citent joyeusement “le souffle du Mistral” (voir Mistral AI) tout en gardant jalousement les meilleurs modèles propriétaires sous cloche. Dans cet eldorado algorithmique, la transparence reste optionnelle, et la promesse d’autonomie vire souvent au mirage contrôlé, façon “archivage sécurisé” chez TeleMessage (souvenez-vous du bug).
À force de tout automatiser, absorber, archiver et livrer, nos géants tech fabriquent de l’innovation lyophilisée : pratique, rapide, sans goût et sans mémoire.
Stérilisée par la peur du risque, la disruption s’apparente désormais à une savante redistribution de dettes, tantôt avalées (MainStreet, Bench), tantôt rachetées au rabais (Deliveroo), tandis que l’on célèbre les “brillantes” IPO et levées de fonds record dans une euphorie à court terme. La révolution réelle, elle, patine : pour chaque robotaxi fraichement sorti d’usine, combien finiront par tourner à vide sur l’asphalte des espoirs brisés ? Pour chaque IA générant documents scientifiques ou images de marque, combien produisent un bruit standardisé qui amuse la galerie mais n’avance plus la connaissance collective ? La “transformation digitale” éternellement promise, c’est peut-être avant tout une transformation du chiffre, du packaging et de l’illusion de contrôle.
À l’heure où même le bug d’une application ultrasécurisée s’attaque aux institutions, rappelons-nous que la technologie, sous le vernis de l’automatisation et de la toute-puissance algorithmique, n’est puissante que de nos faiblesses : peur de manquer la prochaine hype, besoin insatiable d’emprise sur la fragmentation du monde digital, fascination pour la croissance en kit. Plus que jamais, alors que tout s’archive, se livre et se rachète à la vitesse du code, il ne reste qu’à nous demander — entre la course au monopole du back office, le fast-food de la livraison et l’essor insatiable de l’auto-pilotage : où avons-nous laissé, en chemin, la possibilité de faire une pause, d’innover pour de vrai, ou au moins d’oser expérimenter sans tout verrouiller, ni tout automatiser ?