Est-ce que l’encyclopédie que tout le monde connaît est en train de perdre son influence sur l’internet d’aujourd’hui, saturé par l’IA et les réseaux sociaux ? Alors que Wikipedia a toujours été citée comme bastion de la fiabilité numérique, loin du vacarme toxique de certaines plateformes, la réalité semble plus nuancée. Selon une récente révélation de Marshall Miller, membre de la Wikimedia Foundation, le site a vu ses visites humaines chuter de 8% en un an. Faut-il y voir le signe d’un désintérêt, ou bien s’agit-il d’un symptôme de changements profonds dans la manière dont nous recherchons et consommons l’information ?
La chute d’audience provient-elle uniquement d’une lassitude ou y a-t-il des bouleversements techniques qui brouillent les pistes ? D’après Miller, une analyse plus poussée a montré une part croissante du trafic attribuable à des bots sophistiqués contournant les systèmes de détection. Une part non négligeable des clics « humains » récents viendrait donc d’automates—laissant supposer que la fréquentation réelle serait encore plus faible. Que valent alors les statistiques traditionnelles, à l’heure où même les robots imitent nos comportements ?
Mais les robots ne sont que la partie émergée de l’iceberg. N’observe-t-on pas aussi une mutation profonde dans nos habitudes d’accès au savoir ? Miller met en cause « l’impact de l’intelligence artificielle générative et des réseaux sociaux sur les modes de recherche d’information », pointant le fait que les moteurs de recherche – Google en tête – synthétisent de plus en plus de réponses sans rediriger vers des sources comme Wikipedia. Ajoutez à cela le penchant des jeunes générations pour des vidéos rapides sur TikTok ou Instagram, et le paysage des usages s’en trouve radicalement transformé. Le savoir hébergé se dissémine-t-il désormais de façon invisible, sans bénéfice pour ses créateurs ?
La crise que traverse Wikipedia pose la question du rôle futur des sites de connaissance face à l’essor de l’IA.
L’ironie du sort, c’est que Wikipedia, tout en prônant l’ouverture d’accès, devient victime de son propre succès : la société numérisée a appris à capitaliser et redistribuer massivement ses contenus… sans reconnaissance, ni incitation au clic retour. Les résumés générés par l’IA, issus du labeur quotidien des bénévoles wikipédiens, sont-ils une forme de parasitisme numérique ? Et si la source s’étiole, que deviendra la qualité des informations que nous consommons aveuglément ? D’autant que moins de visites signifient moins de bénévoles pour rédiger, éditer et surveiller – et moins de dons pour faire vivre la plateforme.
Face au risque d’un appauvrissement progressif, Wikimedia appelle les géants du numérique à plus de responsabilité : pourquoi ne pas rediriger les utilisateurs vers les pages originales ? En parallèle, l’organisation cherche à développer un nouveau cadre d’attribution et mobilise deux équipes pour « faire venir de nouveaux lecteurs. » Mais ce sera-t-il suffisant pour inverser la tendance, alors que l’écosystème du web échappe de plus en plus à l’influence des acteurs historiques ?
Les efforts ne s’arrêtent pas là : Miller incite chacun à favoriser l’intégrité et la création de contenu en ligne. Il suggère de vérifier les sources, de cliquer sur les liens originaux et d’expliquer autour de soi que « le savoir de l’IA provient d’êtres humains qui méritent reconnaissance et soutien. » Mais dans la jungle foisonnante des contenus, cette démarche individuelle pourra-t-elle peser face à la puissance des algorithmes et des usages changeants ?
Finalement, la question demeure : l’âge d’or des encyclopédies collaboratives touche-t-il à sa fin, ou bien verrons-nous éclore un nouveau modèle de transmission du savoir à travers les lignes de codes et les flux vidéos ?
Source : Techcrunch
