La technologie aime tordre le réel autant que la pleine lune déforme notre imagination : des véhicules autonomes (Gatik et Kodiak à la bourse), des gadgets IA qui promettent de se taire à défaut de nous espionner (design sous silence), et des applications vidéo IA (Sora) qui poussent notre narcissisme viral au firmament. En ligne de mire, une vraie question : la quête de l’autonomie — de la voiture au pixel — se confond-elle désormais avec la volonté de nous automutiler joyeusement notre vie privée sur l’autel de la commodité et de l’entertainment algorithmique ?
On rit jaune devant la ruée d’innovations dans la mobilité, où les camions de Gatik tracent leur destin sans chauffeur, pendant que Google Chrome (toujours plus intime) rêve de remplir nos dossiers administratifs à notre place. Et pendant que certains s’inquiètent (un peu tard ?) de voir la majorité confier son identité numérique, papiers et empreintes comprises, à des serveurs distants, l’autre moitié se rue sur Sora d’OpenAI pour générer des petites vidéos délirantes. Qui tiendra la barre ? Un camion autonome, une application virale ou le navigateur de Google, dopé jusqu’à la moelle à l’IA ?
Face à cet embouteillage d’hypermodernité, le prochain gadget “muet” d’OpenAI, conçu par Jony Ive, semble soudain presque sage. Il prône la disparition de l’écran, la politesse algorithmique, le silence numérique (illusoire ?). Mais qui croit vraiment que l’on va racheter notre intimité à coup de design zen, alors que nos caméras, micro et deepfake pullulent jusqu’au bout de nos poches ? Il faudra sans doute plus qu’un assistant introspectif pour contenir la marée de notifications, la course folle au partage ou les failles géantes ouvertes par Chrome dans nos quotidiens déjà perméables — à moins de demander conseil à la lune, plus constante dans ses phases que nos développeurs dans leurs “politiques de confidentialité”.
Fascinés par la vitesse du progrès, nous confondons allégrement innovation et abdication de notre contrôle, tout en redécouvrant l’art d’être les produits de nos propres machines.
Et dans les marges de cette agitation, les galaxies et les trous noirs de l’astronomie (Segue 1), éclairés par une équipe d’étudiants créatifs, nous rappellent que le cosmos, au moins, n’a pas d’agenda commercial ni de bouton “partager”. Face à la routine algorithmique terrestre, les cycles lunaires ou l’hypothèse d’un trou noir au centre d’une galaxie anonyme nous offrent la seule résistance possible à notre hubris technoïde : celle du mystère, du silence, et du doute. Car la superlune (trilogie céleste), elle, brille toujours sans demander nos données bancaires.
Peut-être faudra-t-il accepter qu’à force de vouloir remplacer la surprise du réel par la surenchère fonctionnelle, nous avons inventé la société du trou noir, où le silence n’existe plus sauf chez ceux qui savent regarder (ou écouter) du bon côté : ni du côté des serveurs, ni des notifications, mais dans le reflet d’une lune plus massive – ou d’une appli IA qui a oublié d’être bruyante.




