Jusqu’où peut aller l’IA pour nous faciliter la vie, ou… nous faire tricher ? Derrière la success story presque caricaturale d’une startup de San Francisco, une question dérange : sommes-nous prêts à accepter que l’intelligence artificielle franchisse toutes les limites, même celles de l’éthique ?
Chungin “Roy” Lee, 21 ans, exclu de Columbia pour avoir développé un outil permettant de tricher aux entretiens d’embauche, vient de lever 5,3 millions de dollars pour sa société, Cluely. Faut-il applaudir cette prouesse entrepreneuriale ou s’inquiéter de la dérive qu’elle symbolise ? Pourquoi des investisseurs parient-ils soudain sur un projet qui, de l’aveu même de ses créateurs, veut permettre à “tout le monde de tricher sur tout” ?
Initialement baptisé Interview Coder et désormais intégré à Cluely, leur logiciel fonctionne en toute discrétion, s’invitant lors d’entretiens ou même d’examens, pour souffler en temps réel les réponses avec une fenêtre cachée dans le navigateur. Cluely compare son invention à la calculatrice ou au correcteur d’orthographe, assimilée autrefois à de la triche. Mais peut-on vraiment mettre sur le même plan des outils facilitant l’apprentissage et une IA conçue dès le départ pour falsifier une évaluation ?
Cluely pose une question qui dérange autant la Silicon Valley que les universités : quand l’intelligence artificielle passe-t-elle de l’assistance à la fraude ?
La vidéo de lancement, aux accents de Black Mirror, a relancé le débat. Certains y voient une audace marketing, d’autres – nombreux sur X (ex-Twitter) – une dérive dystopique. Lee, qui revendique déjà plus de 3 millions de dollars de revenus annuels, n’en a cure. Accompagné par son cofondateur Neel Shanmugam, lui aussi contraint par Columbia de quitter l’université, il assume, va jusqu’à expliquer avoir décroché un stage chez Amazon grâce à son IA (Amazon, contacté, refuse de confirmer ou d’infirmer).
Mais Cluely n’est pas née d’un caprice. Elle reflète le malaise d’une génération de développeurs, lassés de “perdre leur temps” sur des plateformes de recrutement jugées obsolètes et peu représentatives des véritables compétences. Faut-il y voir un rejet du système ou une volonté de le contourner à tout prix ? Où commence la saine contestation et où finit la fraude organisée ?
L’affaire Cluely ne tombe pas du ciel : à peine quelques jours plus tôt, un célèbre chercheur en IA créait le scandale en annonçant vouloir “remplacer tous les employés humains”. Coincidence ou début d’une offensive massive de l’IA contre les usages traditionnels du travail et de l’école ?
Derrière la polémique, une certitude : la frontière entre innovation et tromperie n’a jamais été aussi poreuse. La Silicon Valley joue-t-elle trop avec le feu ?
Source : Techcrunch