Comment expliquer l’essor fulgurant des licornes tech en Amérique latine, alors que la région ne semblait, il y a encore quelques années, qu’effleurer la surface du marché mondial de la tech ? Est-ce une tendance durable ou une bulle prête à éclater ? À l’heure où les investisseurs scrutent de nouveaux géants du sud, les trajectoires de startups comme Rappi, QuintoAndar ou Kavak méritent d’être disséquées. Quels sont réellement les ressorts de leur croissance et les obstacles qui pourraient stopper cette ascension ?
Première observation : ces licornes, longtemps confinées aux titans tels que Mercado Libre, se multiplient désormais et ne se limitent plus au seul secteur de la fintech. E-commerce, logistique, santé, et même gaming : chaque vertical semble avoir trouvé son champion. Mais sommes-nous face à une explosion authentique de la valeur, ou bien à des valorisations en trompe-l’œil, héritages d’un pic spéculatif en 2021 ?
Regardons de près le cas de Rappi, le géant colombien de la livraison, qui affiche une valorisation de 5,25 milliards de dollars obtenue en 2021. L’entreprise, qui rêve d’introduction en bourse, traverse actuellement tempêtes législatives et multiples plans de licenciements, tout en continuant d’attirer les capitaux. Un modèle solide ou une croissance à marche forcée ?
L’essor des licornes latines marque-t-il la naissance de champions mondiaux ou cache-t-il des fragilités encore sous-estimées ?
Autre exemple frappant : QuintoAndar, pure player brésilien de la proptech, ayant levé pas moins de 755 millions de dollars et s’étendant désormais sur plusieurs pays, ou encore Creditas et son positionnement agressif sur le crédit à la consommation. Chacune de ces sociétés a su séduire de grands fonds mondiaux (SoftBank, Fidelity…). Mais pourquoi tant d’appétence des investisseurs étrangers ? Et quelles conséquences sur l’écosystème local, alors que, pour certains, le retour à la rentabilité ne rime pas (encore) avec stabilité ?
A contrario, des startups comme Nuvemshop (le “Shopify sud-américain”) ou Wildlife Studios témoignent de la volatilité de l’écosystème. Wildlife Studios, par exemple, regrette aujourd’hui d’avoir levé trop vite à des valorisations trop élevées, menant à une restructuration douloureuse et des vagues de licenciements. La frénésie post-COVID serait-elle retombée, laissant place à plus de pragmatisme ?
Par-delà leur pays d’origine — Brésil, Mexique, Colombie, Argentine, Chili ou Uruguay — ces licornes incarnent la diversité et la vitalité des hubs d’innovation régionaux. Cependant, nombreuses sont celles, comme Kavak ou Loft, à voir leur valorisation chuter drastiquement ou à pivoter vers des modèles moins risqués. Derrière les chiffres flatteurs, des “success stories” qui subissent aujourd’hui le ralentissement global du capital-risque.
Ce panorama nous pousse inexorablement à interroger la résilience de ces mastodontes face à des marchés plus matures ou à la réévaluation brutale des attentes. Après la vague de croissance alimentée par les levées massives de fonds, ces entreprises sont-elles prêtes pour l’étape suivante : la rentabilité durable et l’expansion mondiale ?
À l’heure où de nouveaux candidats à la licorne toquent à la porte, la véritable question demeure : l’Amérique Latine écrira-t-elle son propre “Silicon Valley moment” ou assisterons-nous à l’éclatement progressif de ces succès fulgurants ?
Source : Techcrunch