Comment une start-up chinoise a-t-elle réussi non seulement à détrôner ChatGPT au sommet de l’App Store, mais aussi à pousser Wall Street et la Silicon Valley à s’interroger sur l’avenir même de l’IA occidentale ? La percée fulgurante de DeepSeek, propulsée par une série d’innovations, soulève d’innombrables questions. Faut-il craindre de voir le leadership américain dans l’intelligence artificielle menacé pour de bon ? Et jusqu’où DeepSeek peut-elle aller ?
Avant de devenir un phénomène mondial, DeepSeek vivait dans l’ombre d’un hedge fund : High-Flyer Capital Management, spécialiste du trading quantitatif en Chine. Fait surprenant — son fondateur, Liang Wenfeng, n’était au départ qu’un passionné de bourse lorsqu’il est entré à l’université de Zhejiang. Ce profil atypique et cette proximité avec la finance dominent-ils la stratégie de DeepSeek, bien plus tournée vers l’expérimentation agressive et l’indépendance que vers la recherche de fonds classiques ?
Dès son émancipation en 2023, DeepSeek se démarque : la start-up construit ses propres centres de données, malgré l’embargo américain sur les puces de calcul. Condamnée à utiliser des Nvidia H800 bridées, la jeune équipe multiplie alors les recrutements “hors-cadre”, y compris en recrutant des chercheurs IA sans expérience en informatique. Volonté d’ouverture, simple pragmatisme, ou recherche d’un avantage décisif sur les rivaux chinois et occidentaux comme OpenAI ou ByteDance ?
L’ascension de DeepSeek ne s’explique pas seulement par la technique, mais par une audace stratégique qui bouscule aussi bien Pékin que la Silicon Valley.
Le tournant a lieu en 2024 avec l’arrivée de la famille DeepSeek-V2, puis V3 : des IA puissantes, polyvalentes, capables d’analyse texte/image et, surtout, d’un rapport prix/performances défiant toute concurrence. Les géants chinois sont forcés de baisser les tarifs, tandis qu’aux États-Unis, Nvidia et OpenAI encaissent le choc. Mais ces modèles, surveillés par les autorités chinoises, sont-ils vraiment indépendants ? Leurs réponses filtrées sur certains sujets sensibles (Tiananmen, Taïwan) laissent planer l’ombre de la censure.
Malgré ses 16,5 millions de visites mensuelles, DeepSeek reste encore loin derrière ChatGPT — mais la résistance s’organise. Microsoft embarque ses modèles dans Azure, des développeurs créent des centaines de dérivés open source sur Hugging Face, tandis que l’administration américaine, plusieurs États et pays asiatiques prononcent des interdictions pour des raisons de sécurité nationale ou de protection des données. Pourquoi cette méfiance croissante ? DeepSeek, jugé « subventionné et contrôlé par l’état », cristallise toutes les inquiétudes sur l’influence technologique chinoise.
Le business model de DeepSeek reste, lui, un mystère. L’entreprise brade ses services, refuse l’argent des VC, et se targue d’efficacité énergétique extrême — une affirmation remise en cause par certains analystes. Faut-il voir dans cette stratégie un moyen de casser le marché mondial de l’IA, ou bien les prémices d’une suprématie technologique chinoise durable ?
Alors que Meta, OpenAI et Nvidia multiplient les réponses publiques et que la rivalité sino-américaine s’exacerbe autour de l’IA générative, le phénomène DeepSeek n’en finit pas de déstabiliser l’ordre établi. Doit-on interpréter cette ascension comme une passade sur-médiatisée, ou comme le signe annonciateur d’un basculement définitif de l’innovation vers la Chine ?
Face à DeepSeek, quelles lignes rouges les démocraties technologiques sont-elles prêtes à tracer — et l’open source survivra-t-il à la polarisation de l’IA mondiale ?
Source : Techcrunch