Que se passe-t-il vraiment lorsqu’un entrepreneur de la Silicon Valley rejoint une agence gouvernementale pour se confronter à la bureaucratie et tenter d’y insuffler l’esprit startup ? Que découvre-t-on de l’intérieur, derrière les promesses de disruption ?
Le témoignage publié par Sahil Lavingia, connu pour ses débuts chez Pinterest et en tant que créateur de Gumroad, soulève de nombreuses questions sur la réelle capacité de transformation de l’administration américaine par les pontes de la tech. Pendant 55 jours, il a intégré l’énigmatique “DOGE”, ce groupe éphémère initié par Trump et supervisé par Elon Musk, dans le but de conseiller des géants étatiques comme le Département des anciens combattants (VA). Mais comment un tel outsider a-t-il perçu cette machinerie forte de 473 000 employés ? Qui décide vraiment dans ces bureaux où performance et ancienneté s’affrontent ?
À sa grande surprise, dès son arrivée en tant que développeur bénévole, Lavingia se voit confier la chasse aux “contrats inutiles” et à la réduction d’effectifs. Mais peut-on véritablement réformer une institution où la hiérarchie du licenciement privilégie l’ancienneté et le statut de vétéran, reléguant la performance au second plan ? N’est-ce pas, derrière la façade d’immobilisme, le signe qu’un certain ordre protège les travailleurs ?
La collaboration entre l’élite technologique et l’administration américaine met en lumière un choc des cultures aussi fascinant que dérangeant.
Plus étonnant encore : la structure même du DOGE. Loin d’être un moteur de décisions, c’est un “fusible” chargé d’endosser l’impopularité pour les véritables décideurs politiques. Faut-il voir dans ce montage une volonté d’instrumentaliser des têtes d’affiche tech, ou un aveu de faiblesse sur la manière dont l’innovation se heurte à la réalité de Washington ? Elon Musk lui-même, lassé d’être érigé en “bouc émissaire”, dénonce cette dérive dans la presse.
Malgré tout, Lavingia s’implique à fond : refonte de l’expérience utilisateur pour le chatbot de la VA, outils d’analyse de contrats par intelligence artificielle, moteur de recherche interne des politiques sensibles. Mais pourquoi n’a-t-il pas réussi à “mettre en production” la moindre solution susceptible d’alléger le quotidien des vétérans ou d’optimiser la gestion des fonds publics ? Qui met réellement des bâtons dans les roues à nouvelles idées ?
Le constat est amer : même l’accès à la transmission du savoir fait défaut au sein du DOGE, obligeant les ingénieurs à “réinventer la roue” plutôt qu’à capitaliser sur l’existant. À peine évoque-t-il ses travaux à Fast Company qu’il est brutalement évincé, accès révoqué du jour au lendemain. L’épisode pose une question centrale : la culture de la Silicon Valley est-elle soluble dans la complexité institutionnelle américaine ?
À la lumière de ce témoignage, doit-on continuer à croire que l’arrivée de volontaires issus de la tech va métamorphoser l’État, ou s’agit-il d’un mirage nourri par les mythes de l’innovation californienne ? Si même les réformateurs de talent ne peuvent rien changer de l’intérieur… alors, faut-il chercher ailleurs la voie de la modernisation publique ?
Source : Techcrunch