Peut-on encore lire de la même manière à l’ère numérique, alors que nos téléphones et applications transforment chaque temps mort en potentiel moment de lecture ? Face à la multiplication des formats – papier, ebook, audio – et des outils de gestion, il est temps de s’interroger : comment choisir parmi la multitude d’applications, et surtout, à qui profite vraiment ce nouveau business de la lecture digitale ?
De plus en plus de passionnés de lecture ne se limitent plus à un seul livre, ni à un unique support. La fragmentation semble totale : un roman de chevet en format papier, une biographie au format audio pour les trajets, et un essai sur liseuse lors des pauses déjeuner. Mais derrière ce foisonnement, quel est le rôle des applications qui orchestrent ce nouveau ballet littéraire ? Peut-on réellement se fier à ces plateformes pour respecter nos habitudes de lecture et, surtout, soutenir le monde du livre indépendant ?
L’exemple de Libro.fm est frappant. Accessible via abonnement mensuel ou à l’achat, ce service de livres audio promet de reverser près de la moitié de ses bénéfices aux librairies de quartier. Mieux, l’utilisateur choisit précisément le commerce qu’il souhaite soutenir. Un engagement affiché, mais peut-on vérifier ce partage, ou s’agit-il d’un simple argument marketing face à des géants comme Audible ? La promesse séduit d’autant plus que les fichiers sont sans DRM, permettant à l’auditeur une liberté rare dans cet univers cadenassé.
À l’ère numérique, lire, écouter et suivre ses livres devient un acte aussi politique que pratique.
Bookshop.org joue la carte du soutien aux librairies pour la vente d’ebooks, surfant sur le même mouvement que Libro.fm. Plus de 38 millions de dollars auraient, selon eux, été reversés aux libraires indépendants en cinq ans. Mais cette nouvelle appli, basique mais efficace, va-t-elle réussir à détrôner des mastodontes comme Amazon Kindle, alors que la synchronisation avec les liseuses Kobo se fait encore attendre ? Stratégiquement, la plateforme cible les utilisateurs soucieux d’éthique, mais saura-t-elle attirer un public assez large pour peser dans la balance ?
Face à ces stratégies commerciales, d’autres acteurs comme Libby ou Moon+ Reader paraissent miser sur la simplicité. Libby, l’appli de bibliothèque publique, gratuité et simplicité en tête, séduit celles et ceux qui aiment butiner sans dépenser. Son système de tags personnalisables n’est-il pas, au fond, ce que recherchent tous ces lecteurs multi-formats en quête d’organisation ? Quant à Moon+ Reader pour Android, il séduit par la prise en main rétro et ultra personnalisable, mais l’accès direct à Project Gutenberg ne risque-t-il pas de détourner certains lecteurs du circuit payant et solidaire ?
Mais avec la multiplication de ces supports et de ces apps, comment s’y retrouver dans sa propre bibliothèque numérique ? C’est là que The StoryGraph entre en scène, promettant de transformer le suivi de ses lectures en véritable data science. Graphiques, statistiques de lecture, challenges personnels, composante sociale discrète : tout est pensé pour séduire le lecteur-multitâche. L’éthique suivra-t-elle l’analyse ? Peut-on vraiment tout tracker sans que l’expérience intime de la lecture ne perde de sa magie ?
Derrière la liberté technologique, la promesse de soutien éthique et l’optimisation de nos habitudes, ne sommes-nous pas en train de perdre le fil ? Le véritable enjeu n’est-il pas moins de savoir quelles applis utiliser, que de s’interroger sur notre responsabilité de lecteur dans l’écosystème numérique ?
Dans ce nouveau monde d’applications, de statistiques et d’altruisme affiché, qui contrôle vraiment le futur de la lecture ?
Source : Engadget