Comment l’ère de l’intelligence artificielle est-elle en train de bouleverser le modèle traditionnel des cabinets de conseil et de services professionnels ? Depuis plusieurs mois, des startups misent sur une nouvelle stratégie qui pourrait bien transformer en profondeur le secteur des services comptables, fiscaux et au-delà.
Noah Pepper, ex-cadre de Stripe Asie-Pacifique, s’est posé cette question de manière très concrète lorsqu’il fonde Multiplier fin 2022. Initialement, le projet consistait à vendre des logiciels aux experts-comptables. Mais tout bascule avec l’arrivée de ChatGPT : la promesse de l’IA capable de métamorphoser non seulement les processus mais la manière même dont les cabinets créent de la valeur. Pepper change alors de cap. Est-il vraiment pertinent de développer une solution SaaS indépendante, ou vaut-il mieux injecter directement l’IA dans le fonctionnement même d’un cabinet existant ?
C’est ce pari que prend Multiplier en rachetant Citrine International Tax, une petite structure spécialisée dans la fiscalité internationale, et en y introduisant sa propre couche d’intelligence artificielle. Très vite, les résultats sont là : automatisation poussée, disparition des tâches manuelles, doublement des marges. Se pourrait-il que le futur du service professionnel passe non seulement par la technologie, mais aussi par l’acquisition et la transformation des savoir-faire déjà en place ?
Multiplier incarne un mouvement de fond : racheter, moderniser et démultiplier les petits cabinets avec l’intelligence artificielle pour rivaliser avec les géants du secteur.
Le secteur ne s’y est pas trompé. Multiplier (qui se rebaptise Multiplier Holdings) boucle ainsi en toute discrétion une levée de fonds impressionnante : 27,5 millions de dollars de la part de Lightspeed, Ribbit Capital et d’autres investisseurs. Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : selon TechCrunch, plusieurs startups à vocation similaire (le fameux “AI-powered roll-up”) attirent désormais l’attention voire les capitaux de poids lourds comme Khosla Ventures ou General Catalyst. Pourquoi ce regain d’intérêt soudain pour les rachats de PME ? Les sociétés de petite taille, explique Lightspeed, seraient bien plus réceptives et agiles face à l’intégration de nouveaux outils technologiques : leur transformation peut être radicale là où de grands cabinets peinent à se réinventer.
Ce mouvement inquiète-t-il les grands groupes traditionnels, en particulier les « Big Four » (Deloitte, PwC, EY, KPMG) ? Multiplier ne cache pas ses ambitions : créer, à partir d’acquisitions et d’intégration d’IA, un concurrent d’envergure doté de nouveaux réflexes, plus rapide et plus efficace. Il s’agit donc pour Pepper et ses investisseurs de repérer des PME dotées de revenus récurrents, dirigées par des leaders prêts à repenser leur métier avec les technologies d’aujourd’hui. Est-ce pour autant un pari sans risque ? Croient-ils vraiment pouvoir remplacer l’expertise humaine par une automatisation accrue sans perdre en qualité ?
Multiplier réinvente-t-elle le modèle capital-risque classique, non plus en misant sur des startups « from scratch », mais en investissant sur des dirigeants déjà reconnus, prêts à jouer les pionniers de leur propre secteur ? Pepper le résume ainsi : « C’est un peu le même pari entrepreneurial, mais on mise cette fois-ci sur l’humain déjà en poste comme catalyseur du changement ».
À l’heure où le secteur du conseil et de la comptabilité pourrait connaître un bouleversement semblable à celui qui a frappé les fintechs il y a dix ans, une question demeure : l’IA suffira-t-elle à démultiplier les performances, ou la prochaine barrière à franchir se situera-t-elle du côté de la confiance et de l’expertise humaine ?
Source : Techcrunch
